Dans cette conférence de 1996, Francisco Varela tente d’établir une homologie formelle entre l’émergence cognitive dans le monde du vivant et celle propre au monde social. Texte retranscrit par Christiane Peyron-Bonjan, soumis au conférencier et corrigé par ses soins.
1. Introduction
Je vous remercie de votre invitation à faire une communication ici. Il y a une semaine, à Londres, j’ai participé à un colloque homologue, intitulé « Complexity and Strategy » organisé par le Santa Fe Institute for the Study of Complexity ; je suis intervenu justement sur la thématique de « l’entreprise apprenante ». À l’occasion de cette rencontre, j’ai de nouveau vérifié la confusion régnant dans le domaine de la complexité du social, mais en même temps l’existence de thèmes absolument centraux à explorer.
Je suis par ailleurs très heureux de parler après l’intervention de Jean-François Raux car il m’évite de vous présenter quelques idées fondamentales qu’il a clairement exprimées, me permettant ainsi de vous conduire sur les mêmes chemins mais dans une optique différente, non celle d’un dirigeant d’entreprise, mais celle du chercheur et du biologiste qui s’intéresse aux problèmes de la complexité et de la connaissance, ces deux notions étant entendues en un sens large.
Je vais vous donner quelques idées et arguments pour répondre à la question sur l’intentionnalité qui est au centre de notre discussion. D’abord y a t-il une intentionnalité biologique ? A-t-elle un rapport avec l’intentionnalité humaine, individuelle et sociale ? Ma réponse est une tentative de « oui », mais comme tous les oui de la science sont tous soumis à révision possible, je vais tenter de vous avancer de quoi étayer le mien.
Je vais donc également développer ces arguments sur deux modes de temporalité : la temporalité de l’individu biologique et celle de l’agrégat social car mon but est de faire une homologie, un passage homologue entre ce qui se passe au niveau de l’intentionnalité biologique de base, et ce qui constitue aussi l’intentionnalité la plus principielle du groupe social. Attention, je n’entends pas parler, comprenez-moi bien, de toutes les formes de connaissances biologiques ni de toutes les formes de connaissances sociales. J’essaie, dans le meilleur esprit justement de la recherche sur la complexité, de pointer un certain type de phénomènes et de principes, qui semblent assurés, phénomènes et principes fondateurs de mécanismes qui seraient à l’origine d’un domaine sans pour autant essayer de le couvrir entièrement.
2. L’intentionnalité du vivant
Il faut souligner le double sens, ou le double emploi, du mot intentionnalité dans le jargon et dans la discussion épistémologique, des sciences cognitives et de la biologie aujourd’hui. Jean-François Raux l’a déjà dit, je le crois avec lui, il faut distinguer un sens plutôt classique qui dérive de la grande tradition de la logique, de la cybernétique, et aussi des sciences cognitives qui ont donné naissance à la notion d’intentionnalité, selon lesquelles il y aurait prise d’information, puis traitement de cette information pour déboucher sur l’action. Dans cette perspective la notion d’intentionnalité se réfère à une approche computationnelle et sémantique de la connaissance, comme si la connaissance, fondamentalement, était un mode d’acquisition et de représentation de l’information existant dans l’environnement d’un système. C’est ce qu’à juste titre, on peut appeler le lieu du problème classique de l’intentionnalité, lieu dans lequel s’inscrit la question : « Comment un signe a-t-il un contenu de signification, à terme, un contenu mental ? » Ainsi, la question dans cette perspective classique est de savoir comment le système, la biologie, la vie d’un individu ou d’un animal, arrive à donner des contenus sémantiques à ces activités.
Mais il est évident que dans les points de vue développés ce matin par Georges Lerbet et Jean-François Raux apparaît une autre orientation, à savoir : la notion de la connaissance en rapport avec une histoire où le sens émerge en interactivité. Ainsi on ne peut pas séparer l’acteur des contenus de son action. Dans ce sens là, l’intentionnalité n’est pas du tout représentationnelle, c’est une intentionnalité au sens plus littéral de l’histoire de la phénoménologie, c’est le point de liaison entre l’histoire d’un système cognitif et de ce qui constitue son mode de signification, ces deux paramètres étant absolument indissociables [1].
A quoi nous renvoie cette conception de l’intentionnalité ? Elle renvoie essentiellement au processus de mise en œuvre de cette intentionnalité, autre que le simple mécanisme du traitement de l’information que l’on connaît fort bien puisqu’il est justement fondé sur la tradition de la logique et aujourd’hui de l’informatique, des traitements symboliques. Il ne s’agit plus, dans cette autre vision de l’intentionnalité, de recherche de nouveaux « modèles représentationnels ». La question que cette approche laisse ouverte, est évidemment l’obligation de fournir une alternative à la conception classique qui ne disposait pas, au début du siècle, des outils pour proposer un mécanisme générateur d’intentionnalité au sens littéral du terme. Ce fut l’obstacle de la phénoménologie originaire.
Ces mécanismes étant justement de ceux qu’on appelle aujourd’hui des systèmes complexes non linéaires. Je vais essayer de vous illustrer le fonctionnement de ce qui se passe aux fondements du système biologique, puis je ferai, je le répète, un saut de l’individu au social, car il existe une analogie très forte de ce processus au niveau du système social.
Voici, donc, la première partie de ce parcours : Que peut-on dire sur l’intentionnalité du vivant ? Ou encore, quel est le mécanisme originaire de l’intentionnalité biologique qui n’est pas de l’ordre de la représentation mais de l’ordre de l’émergence ? A mon sens, l’intentionnalité biologique est concomitante à l’apparition du système neuronal de la vie sur terre. Certes, la vie sur terre a de nombreux styles ou formes d’apparition, mais il a une forme fondamentale qui est la vie animale, mieux la vie en mouvement. Dès qu’il y a mouvement, il y a cerveau et réciproquement, chaque fois qu’il y a cerveau, il y a mouvement. Ainsi, l’invention de l’intentionnalité cognitive, de l’intentionnalité biologique est fondée sur un acte, un geste d’action et ce geste d’action est littéralement la possibilité de se déplacer dans le monde.
Pourquoi cela est-il capital ? Se déplacer dans le monde implique en même temps la sensorialité et la motricité ; c’est à dire une interface du système avec le monde. Il est capital de ne pas dissocier la sensorialité et la motricité car cette inséparabilité est la marque même de l’intentionnalité biologique. Il est d’ailleurs intéressant de constater dans l’histoire récente des neurosciences, dans les textes d’aujourd’hui, qu’on a tout fait pour déboucler cette boucle [2].
Schéma 1 : Uni- et bi-directionnalité dans la voie visuelle
NB : La figure se trouve dans « Connaître »
En effet, si l’on prend par exemple, le système visuel, on a un schéma type qui met en place, la rétine, puis un noyau central premier contact des nerfs optiques dans le cerveau (on l’appelle le noyau géniculaire latéral, LGN, dans le thalamus) et puis, le cortex visuel, et puis ainsi de suite pour les étapes de traitement dites « supérieures ». Ce type de schéma courant se trouve dans les manuels : il pose le LGN, classiquement étiqueté comme étant un noyau de « relais », comme si les informations qui entrent dans l’œil passaient par un relais puis étaient traitées, éventuellement, par cascades de traitements déterminant l’action résultante. Or, pour réorienter cette lecture de l’intentionnalité, se mettre au centre de la question de l’activité cognitive biologique, il faut partir de la non-séparabilité de la sensorialité et de l’action, et cela nous amène à réviser complètement la réalité de ce type de schéma.
Si l’on observe la réalité biologiquement, elle est fort différente de ce qu’avancent ces schémas classiques. Car le LGN n’est pas du tout un noyau qui reçoit de façon unidirectionnelle des activités venues de la rétine. Cet endroit est le lieu où arrivent également les activités du cortex cérébral beaucoup plus importantes qu’on ne croit. Il ne s’agit pas, comme dans la conception classique, d’un envoi d’informations qui serait ensuite géré par système de relais successifs. Le LGN est le lieu d’une conversation fort bruyante, une espèce de « cocktail party » qui a lieu, déjà, au milieu du thalamus : si l’on estimait le nombre des impulsions affectant un neurone du LGN il n’y aurait pas plus de 20 % qui viendraient de la rétine et 80 % viendraient donc des autres partenaires internes du cerveau. Il n’est donc pas du tout métaphorique de dire qu’une flèche par laquelle on prétend imputer une espèce d’uni-directionnalité, est aussi arbitraire qu’envisager la même flèche, dotée du sens inverse.
Or, il est inutile d’imposer des flèches, qu’elles soient dans un sens ou dans l’autre ; car il est d’évidence que la réalité s’impose d’elle même, que ce n’est pas la direction des flèches, de bas en haut ou de haut en bas, qui définit l’intentionnalité et que l’alternative à la conception classique réside dans la sorte de regard en réseau imposé par le système . A mes yeux, il exige de n’être vu que comme un système dont le rouage incontournable est cette réalité d’activités internes bi-directionnelles foisonnantes, qui se module à l’aide d’un couplage sensoriel. Notez bien que j’ai changé l’emploi des mots : je n’ai pas dit « d’entrée », j’ai parlé de « couplage ». Pourquoi ai-je fait ce choix ? C’est que dans le terme « couplage », j’entends justement un fonctionnement par modulation, sans qu’elle ne contienne de déterminant préalable, ni instruction, ni information. J’ai choisi ce terme de « couplage » parce que cette instruction, cette information, ce contenu va justement être fonction de deux éléments : le couplage et une activité interne qui, à eux deux, génèrent la capacité de « façonner », de « faire émerger », c’est-à-dire de donner des significations à ce couplage, sans qu’aucun de ces deux éléments ne contienne, en lui-même, d’information préalable. Ce point est primordial : il n’existe aucunement un monde prédigéré de choses que l’on ait à se représenter. Il n’existe que des processus de modulation internes et auto référentiels, et puis, l’histoire de l’émergence, par couplages interactifs, à l’œuvre. Pour illustrer cela, voici ce second schéma.
Schéma 2 : Sensori-motricité chez l’escargot Aplysia
NB : Dessin ci-joint
L’exemple est éclairant, il ne s’agit plus d’un système visuel. Ce petit escargot Aplysia très étudié par les biologistes et que j’introduis ici, est le type d’animal qui permet d’avoir accès à tout le système de l’intentionnalité biologique fondamentale car il en révèle tout le réseau, alors qu’une étude des chats, des singes ou de l’homme n’en montrerait qu’une saisie fragmentaire. Ce petit escargot incarne donc en tant qu’animal, le fait de se mouvoir dans son monde, d’être au monde ; ces expressions doivent être entendues comme être « en situation », mieux comme « acteur situé ». Attention : lorsque je dis l’Aplysia « est-au-monde », je l’entends dans le sens d’accomplir une action. Car, l’agir c’est l’être et réciproquement.
Si l’on étudie ce qui se passe dans la capacité de l’Aplysia à se déplacer dans le monde, on constate son aptitude de discrimination dans le monde, entre des objets impossibles à dépasser et des objets contournables. Mais, cette aptitude ne correspond pas à l’existence de représentations accomplies à partir d’informations préalables (comme dans le schéma logique classique). En effet, il y a des surfaces sensorielles qu’on appelle les siphons, petits points sous la partie antérieure de l’animal, indissociables d’un type de muscles répartis dans l’ensemble du manteau musculaire de l’animal. Ils constituent un ensemble fonctionnant par voies bidirectionnelles, comme je l’avançais tout l’heure pour le système visuel des vertébrés. On est donc confronté à une situation où l’on se trouve en face d’une « assemblée » de voies bidirectionnelles, d’unités couplées qui sont toutes des éléments neuronaux et de cette surface d’interaction [3]. Il y a donc, à l’évidence, un environnement sur lequel l’animal est structurellement couplé : l’environnement n’est pas pré-spécifié comme étant une espèce de source d’informations représentées, cet environnement est plutôt l’occasion des interactions qui vont constituer, selon la résonance interne, le découpage et la stabilité d’un certain type d’activités génératrices de significations. Voilà le cœur de l’intentionnalité animale.
Quel est le cadre conceptuel adéquat à ce type de système ? L’évidence s’impose d’elle même : ce mécanisme est de résonance interne. Si nous n’avons pas la possibilité d’établir un flux unidirectionnel d’ici à là, et puis successivement de bas en haut, mais si nous constatons un effet bidirectionnel, la seule alternative à la conception classique, c’est de dire que ce flux bidirectionnel va donc donner naissance à une transition d’état ; c’est ce que l’on appelle en mathématiques, en théorie de la complexité, une dynamique de relaxation des oscillateurs couplés.
Ce mode de relaxation, ce fonctionnement par couplage et relaxation constitue une réalité complètement autre que la conception classique, nous sommes dans un autre monde que dans celui de l’idée d’un traitement séquentiel. Entre autres choses, tout cela nous donne déjà la temporalité de la vie biologique, car tous ces systèmes vont fonctionner dans la vie ordinaire sur la base d’une résonance évoquée par un couplage et cette résonance va établir le temps dans lequel ce système va exister, moment après moment. Or, c’est à l’intérieur de cette temporalité que se détermine l’intentionnalité, c’est à dire les contenus de significations qui vont correspondre à des couplages divers à chaque instant [4].
Somme toute, mon propos est que cette alternative, qui considère l’intentionnalité biologique comme étant fondée sur un mode de dynamique interne est un mécanisme explicite pour lequel on possède la fécondité de l’observation et la qualité de belles mathématiques. Il a le grand mérite de poser et de proposer une métaphore, une image conceptuelle de l’intentionnalité qui n’a rien à voir avec la notion des traitements de forme entrée/sortie puisqu’elle met en place, au contraire, le constat de couplages, de résonances et de constitutions entendues. Ce sont les aspects cruciaux qui permettent de saisir ce que l’on peut mettre à la place de l’idée classique de la connaissance comme computation représentationnelle, afin de la remplacer par le “ faire émerger du sens ” par des réseaux de couplages et de résonances.
3. Réseaux de conversations et émergence du sens
Comme promis, maintenant, je vais vous proposer ce qui, à mon sens, est une description du dispositif des fondements de l’intentionnalité pour un collectif humain. Certes, je n’ai nullement parlé des autres phénomènes cognitifs de l’animal, tels la mémoire, l’apprentissage, l’imaginaire, le rêve... Mais à mon avis il faut d’abord préciser ce qu’on appelle la base primaire de la connaissance, aller au cœur du phénomène sous lequel ces autres fonctions viennent se greffer, car on ne peut avoir de mémoire, par exemple, sans l’existence d’une intentionnalité perceptive de base. Similairement, sans prétendre aborder tout ce qui se passe dans la connaissance d’un groupe humain, je vais tenter une analogie avec l’intentionnalité du vivant.
Mon point de départ est que dès que l’on s’intéresse à un groupe humain, quelle qu’en soit l’échelle, celle de l’entreprise ou celle des services, on se place à un autre niveau de phénomène que celui du couplage sensori-moteur puisque l’on se situe au niveau de l’activité langagière. Mais il est évident, si l’on se questionne sur le langage et la communication, de rencontrer très fréquemment, dans des colloques de ce genre, des approches du type classique, computationnelles. Pour illustrer cette conception, j’utilise la métaphore qui consiste à prendre l’intentionnalité langagière pour un tube, tube dans lequel on traiterait l’information sous forme d’entrée et de sortie. Ce tube est une représentation de type Shannonienne, à savoir une source, un message, un code de transmission, un récepteur.
Or, cette conception du langage doit être dépassée, comme on vient de le voir lorsque l’on s’intéresse à l’intentionnalité biologique. Il faut de toute évidence préciser ce qu’il y a de fondamentalement différent dans l’activité linguistique. C’est là que je fais appel à une idée introduite, il y a une dizaine d’années, par Winnograd et Flores, deux chercheurs de l’Université de Stanford [5]. Ils ont introduit un concept crucial pour comprendre le passage entre l’intentionnalité animale et l’intentionnalité humaine. Ils ont « ré-introduit » l’idée que l’essentiel du langage c’est la coordination d’actions. Le langage ne se résume ni en messages ni en transmission d’informations. Au contraire, l’activité fondamentale et quotidienne de l’être humain est qu’on ne parle que pour coordonner, pour engendrer des actions. Winnograd et Flores font appel à une philosophique britannique de J. Austin qui avait introduit dans les années quarante la théorie des actes du langage (speech acts). L’idée fondamentale est que le langage ne servait qu’à l’action et il intitulait son livre : How to do things with words !
Cette théorie se fonde non pas par universaux syntaxiques mais pragmatiques : les requêtes, les promesses, les déclarations et les évaluations. On pourrait ainsi établir une liste de requêtes en anglais, en français, en espagnol et même en chinois. La connaissance du chinois n’est pas nécessaire pour affirmer que les chinois ont des formes pragmatiques de requêtes dans leur langue, sinon ils ne pourraient pas fonctionner en société. Ces actes de langage sont universels.
Ce que je trouve particulièrement fécond dans cette hypothèse est que ces universaux pourraient être les noyaux équivalents aux unités d’un réseau servant de fondements à l’intentionnalité collective. Pour quelles raisons les appeler « noyaux » ? Parce que les actes du langage, en fait, donnent naissance à ce que l’on pourrait appeler des réseaux de conversations. Le langage humain est comme une constitution primaire des réseaux multiples de conversations : je demande, je déclare, etc. Or, chaque geste de la vie quotidienne sociale, en famille, à l’université, dans une entreprise, est imbibé dans des réseaux de conversations, des boucles d’action créatrices de la vie quotidienne et de son sens.
SCHEMA 3 : Coordination d’actions par des actes du langage
NB : Dessin ci-joint
Chaque nœud dans le schéma est un acteur humain, acteur qui n’est pas forcément un individu ; l’acteur peut tout aussi bien être un sous-réseau, un sous groupe de personnes engagées dans un réseau de conversations qui constitue l’unité de ce groupe. Ce qui implique, justement que cette entreprise est soumise, comme toutes les unités à un couplage de l’environnement, environnement qui se ressemble en structure à la coordination sensori-motrice de l’Aplysia, mais ce couplage structurel n’est pas physique, c’est un couplage sous forme d’écoute, d’interactions, de requêtes... comme toute conversation.
Prenons un exemple : la requête, comme l’abonnement à l’EDF ou la présentation de mon billet d’avion, réclame un service, une condition de satisfaction. Si, par exemple, une hôtesse de l’aéroport m’envoyait prendre une douche en prenant mon billet, elle ne satisferait pas à la condition de satisfaction, la douche étant un autre réseau de conversation. C’est par ce biais que l’on retrouve l’idée du couplage : points d’interaction qui permettent d’obtenir les conditions de satisfaction et entraînent éventuellement de nouvelles actions. Dans ce couplage donc, on ne peut séparer la requête de la déclaration d’accomplissement. Voila l’interface de ce que j’appelle les réseaux d’actions, et dans leur mode d’organisation récursif se trouveraient les conditions de satisfaction qui permettraient d’engendrer l’émergence de l’intentionnalité collective. En effet, ce n’est qu’en situation de couplage conversationnel qu’un groupe va pouvoir livrer le sens de son environnement, pouvoir décider de ce qui est pertinent ou non, de ses choix de valeurs, de faire émerger sa vision du monde.
Il n’est donc aucunement question d’optimalité, comme le soulignait Jean-François Raux lors de sa communication, il s’agit plutôt de la manière dont ces groupes font historiquement émerger des significations. Il s’agit donc de leur intentionnalité collective au sens le plus phénoménologique du terme. J’ajoute que, « à mon sens », il y aurait un mode d’opération fondamental et analogique des résonances par couplages comme dans le système neuronal, c’est-à-dire des réseaux de conversations qui donneraient naissance et configureraient les conditions de satisfactions, et donc les actions, l’historicité, l’identité des groupes. Or, puisqu’il s’agit des conditions de satisfaction, il y a place justement pour les changements, les modifications d’objectifs, les inflexions de conditions de satisfaction etc. Il existe un processus tout à fait explicite et référent, qui serait la source de l’émergence du sens collectif, voire même de l’intentionnalité collective. L’avantage d’avoir un cadre théorique explicite est de permettre d’approcher la naissance de cette intentionnalité collective, et ainsi de focaliser le niveau d’expertise à privilégier dans la recherche : comment expliciter ce type de réseau évolutif de satisfaction ? Ce type de question devenant centrale, permettrait de faire ressortir le niveau d’expertise à atteindre par les acteurs.
La plupart des gens ne se rendent pas compte qu’ils fonctionnent sur la base d’un réseau de satisfaction d’actes de langage. On pense trop souvent au contraire que l’on est toujours en train d’échanger de l’information ! Ce ne me semble pas un exercice purement théorique que d’essayer de mettre en avant ce type de processus explicitant la constitution, l’émergence de l’intentionnalité dans les groupes humains, même si l’hypothèse s’avère fausse, car elle constitue la seule manière de progresser pour dépasser la vision classique de la communication humaine sur la base des messages. Il s’agissait donc de proposer une autre lecture des stratégies humaines, motivée par des homologies biologiques.
Je termine donc par ce qui me semble être la clef de la réflexion : une appréhension renouvelée de l’intentionnalité dans la cognition, appréhension dont la clef se situe dans cette autre vision du « connaître », considéré comme l’établissement de la configuration de ce qui serait des signifiés possibles. Il est bien évident que pour cela il est nécessaire de signaler les processus fondamentaux comme je les ai proposés ici, à savoir des couplages dans les réseaux avec des systèmes de résonances : que l’on prenne ces résonances au sens littéral de l’intentionnalité biologique, comme chez l’Aplysia, ou qu’on les prenne comme des résonances de réseaux de conversation des actes de langage chez l’humain.
SCHEMA 4 : Résumé des idées principales.
NB : Schéma ci-joint