De ῥυθμός à numerus

Marie Formarier
Article publié le 20 novembre 2012
Pour citer cet article : Marie Formarier , « De ῥυθμός à numerus  », Rhuthmos, 20 novembre 2012 [en ligne]. https://www.rhuthmos.eu/spip.php?article750

« Tout ce qui correspond à quelque mesure audible, même hors du vers — car celui-ci est un défaut en prose — est appelé rythme (numerus en latin, ῥυθμός en grec). » [1] Par ces mots, Cicéron établit la correspondance entre le ῥυθμός grec et le numerus latin, et valide ainsi le glissement du concept de rythme à celui de nombre. Si numerus n’est pas, à proprement parler, une traduction de ῥυθμός, « les deux mots ne sont pas sans rapport, en ce qu’ils partagent des isotopies afférentes » [2]. En d’autres termes, le transfert de rythme (ῥυθμός) à nombre (numerus) est opéré en vertu d’une association de concepts communs (harmonie, agencement, proportion) [3]. Cette association est en réalité déjà présente dans la théorie aristotélicienne du rythme. En effet, dans le livre III de sa Rhétorique, Aristote établit que « le nombre (ἀριθμός) propre à la forme de la parole oratoire est le rythme (ῥυθμός) [...] » [4]. Ce nombre se matérialise en particulier dans la succession des durées et les rapports arithmétiques que celles-ci entretiennent. En caractérisant la forme de la parole oratoire, le rythme « apporte au discours un caractère déterminé, une sorte d’unité interne en introduisant un nombre, c’est-à-dire une proportion, une harmonie » [5]. Dès lors, pourquoi Cicéron ne s’est-il pas contenté de la translittération rhythmos  ? Quelle différence — à supposer qu’il y en ait une — établir entre numerus et rhythmos  ?

 Les raisons de l’équivalence linguistique entre ῥυθμός et numerus

Cicéron considère que les mots fournissent une matière première (materia) que l’orateur met en forme (forma) par un travail de ponçage (expolitio) [6]. L’énoncé est dès lors perçu comme une construction qui répond aux lois de l’euphonie et du rythme, où chaque élément est interdépendant : « Une des propriétés fondamentales du rythme est en effet que celui-ci crée la participation directe de chaque élément à l’ensemble du système. Cette structure n’est donc pas perçue comme le résultat de la simple addition des propriétés de ses parties, mais comme un tout constitué par l’ensemble des relations entre ses parties. » [7] L’équivalence cicéronienne entre ῥυθμός et numerus permet ainsi d’associer d’emblée le rythme à cet agencement arithmétique qui organise l’énoncé en segments croissants et hiérarchisés (pieds, incises, membres et périodes). Fondamentalement, le numerus tient donc le même rôle que le ῥυθμός tel qu’il a été défini par la philosophie, la musique et la rhétorique grecques. En effet, avant de faire référence à ce que l’on entend aujourd’hui par rythme, c’est-à-dire une succession de motifs sonores réitérés et identifiés comme tels par l’auditeur, le terme ῥυθμός « désigne la forme dans l’instant telle qu’elle est assumée par ce qui est mouvant, mobile, fluide » [8], c’est-à-dire par les atomes dans la philosophie de Leucippe et Démocrite [9], les unités du discours dans la rhétorique d’Aristote [10], ou bien encore les unités de la mélodie, de la parole et de la danse dans la théorie musicale d’Aristoxène [11]. Le numerus, comme le ῥυθμός, met en forme le discours par un double processus dialectique visant à délimiter et enchaîner les éléments les uns aux autres. Ce processus permet l’élaboration d’une véritable « architecture sonore » [12], où s’allient structure et mouvement.


Cicéron considère que cette mise en forme rythmique et arithmétique relève de l’ornementation [13], mais qu’elle doit surtout éclairer la pensée et appuyer l’argumentation [14]. C’est la raison pour laquelle il prête une si grande attention au numerus et s’oppose à certains atticistes qui, selon lui, refusent cette mise en forme au profit d’un minimalisme stylistique [15] :

Cela est mal considéré quand, dans un discours judiciaire ou politique, on dit qu’il y a du rythme (numerus en latin, ῥυθμός en grec). De fait, il semble que, par une profusion de pièges, on veuille s’attacher à capturer les oreilles si, dans la pratique oratoire également (etiam in dicendo), l’orateur recherche des rythmes. Ces individus comptent là-dessus ; eux-mêmes parlent en phrases coupées et amputées et blâment ceux qui parlent en phrases bien ajustées et délimitées. [16]

Pour Cicéron, le travail rythmique n’est pas réservé au domaine de la musique, mais doit également préoccuper l’orateur — l’adverbe etiam prend ainsi tout son sens. Si l’orateur néglige les lois de l’euphonie et du rythme, les phrases sont « coupées et amputées » (infracta et amputata), les éléments de l’énoncé sont accumulés sans lien les uns avec les autres. À en croire Cicéron, les partisans d’un tel style, sous prétexte d’imiter Lysias [17], se privent des outils qui précisément rendent la pensée compréhensible et qui confèrent à la parole toute sa force persuasive.


Enfin, cette mise en forme du discours par les lois du nombre n’est pas sans rappeler la versification de la poésie [18]. Les orateurs et les poètes disposent de la même matière, qu’ils organisent selon des rapports de durée, en fonction de règles spécifiques. Mais celles du numerus ne sauraient être celles du metrum  [19].

Il n’y a rien de plus tendre, de plus malléable, il n’y a rien que tu ne puisses plus facilement façonner que le discours. De là le vers, de là aussi les rythmes changeants ; de là encore cette prose libre aux mesures variées et aux genres divers que j’emploie en ce moment. [20]

La malléabilité du langage, qui fournit un véritable « matériau poïétique » [21], permet toutes sortes de mises en forme stylistiques. La prose libre (soluta oratio) que Cicéron, par la bouche de Crassus, emploie à l’heure même où il donne ces explications sur le rythme oratoire — l’emploi du déictique haec est à cet égard capital, car il fait référence à la situation présente d’élocution — constitue le premier emploi du rythme, celui qui observe le moins de contraintes. Il s’agit de la prose utilisée dans la vie quotidienne ; bien qu’elle ne réponde à aucune démarche stylistique, elle laisse de temps à autre échapper des rythmes, en particulier des rythmes iambiques [22]. La présence de ces rythmes ne répond à aucune règle, elle est pour ainsi dire l’une des données de la langue. Voilà pourquoi la prose libre est considérée comme arythmique. Le deuxième emploi du rythme trouve son expression dans la parole rythmée ou rythmique (oratio numerosa), celle qui emploie des rythmes en toute connaissance de cause. L’expression dispares numeri fait allusion aux combinaisons variées de rythmes qui caractérisent la poésie chantée (carmen), celle des cantica du théâtre ou bien de la poésie lyrique. Cette extrême complexité combinatoire rend l’identification des mètres difficiles, voire impossible, même pour l’oreille cicéronienne : sans l’accompagnement musical de la tibia, la poésie polymétrique ressemblerait fortement à de la prose [23]. De fait, ces combinaisons mêlées sont également employées dans la prose d’art. Enfin, le rythme le plus contraint est employé dans la poésie monométrique ; cet emploi est donc le propre de l’oratio uincta.


La variété (uarietas) est le principe vers lequel convergent les règles du nombre dans la prose oratoire. Pour être perçue comme telle, la variété suppose l’identification de constantes, mêlées les unes aux autres, répétées à l’identique ou modifiées. Ces constantes sont inscrites dans le temps et quantifiables ; elles peuvent être des combinaisons de durées, autrement dit des pieds, ou bien des intervalles de durée. Cicéron considère que le numerus doit observer un compromis complexe qui consiste essentiellement dans le respect d’une position intermédiaire entre l’absence de forme (arythmie) et une forme excessivement contrainte (le mètre et le rythme musical), inadaptée à la liberté de la prose :

Pour ma part, je suis d’avis que tous les pieds dans la prose soient pour ainsi dire mêlés et confondus. Car nous ne pouvons fuir la critique si nous employons toujours les mêmes pieds, parce que la prose ne doit être ni rythmique (numerosa) comme un poème (ut poema), ni arythmique (extra numerum) comme le parler populaire (ut sermo uolgi) — le premier est trop contraint, en sorte qu’il semble artificiel, le second est trop lâche, en sorte qu’il semble répandu et commun. Aussi n’est-on pas charmé par le premier et déteste-t-on le second. [24]

La réflexion cicéronienne est ici clairement inspirée de la Rhétorique  [25]d’Aristote : « la forme de la prose ne doit être ni métrique (ἔμμετρον), ni arythmique (ἄρρυθμον) » [26] et « le discours doit être bien rythmé (εὔρυθμον) et non arythmique (ἄρρυθμον) » [27], c’est-à-dire faire un bon usage du rythme (εὔ-). Aristote conclut en affirmant que « pour cette raison, le discours doit avoir un rythme (ῥυθμός) — non un mètre (μέτρον), car sinon, ce sera un poème (ποίημα) — mais sans rigueur, et ce sera le cas jusqu’à un certain point » [28]. Dans la perspective axiologique adoptée par Aristote, le rythme (ῥυθμός) de la prose se définit comme un meson, un équilibre à respecter, situé entre deux extrêmes que sont l’arythmie et le mètre. En premier lieu, le caractère arythmique manque de détermination et fait obstacle à tout plaisir auditif [29]. Or, le ῥυθμός oratoire a pour vocation de « donner au style un caractère déterminé, nécessaire à une bonne compréhension [...] et, d’autre part, [d’] apporter au style de l’agrément, les deux fonctions n’étant pas séparées » [30] et intimement liées au processus de persuasion. En outre, l’arythmie est une marque du parler courant dont le discours doit se détacher. Ensuite, le caractère métrique, du fait qu’il suppose un cadre fixe, répétitif et par conséquent extrêmement prévisible, déconcentre l’auditoire. Celui-ci guette le retour du motif métrique et ne se préoccupe plus des idées ni de la pertinence de l’argumentation. En cela, le caractère métrique déjoue la stratégie de persuasion [31] et doit donc être réservé au poème. Cicéron reprend à son compte le meson aristotélicien, mais n’en tire pas les mêmes conséquences qu’Aristote. Ce dernier préconise un agencement qui ne se rencontre ni dans le parler courant ni dans la poésie, et privilégie l’emploi du péon (-uuu ou uuu-) au détriment de l’iambe (u-), trop humble, et du dactyle (-uu), trop solennel [32] . De fait, le péon 1er et le péon 4e, grâce à la succession des trois syllabes brèves propre à leur configuration, empêchent toute irruption inopportune d’une structure iambique ou dactylique. Cicéron admet aussi que le péon est un rythme adapté à la prose [33]. Mais il préfère, pour fuir l’arythmie et le mètre, adopter le mélange des pieds et les modulations rythmiques (permixtos et confusos pedes) [34]. La variété des combinaisons devient dès lors une caractéristique essentielle du rythme oratoire ; elle s’opère par un mélange réfléchi des motifs, auquel se conjugue une maîtrise parfaite des lois du nombre et des proportions.


Le numerus oratoire se définit non seulement par son extrême variété combinatoire, mais également par sa configuration non mesurée, au sens musical du terme. En effet, pour Cicéron, il ne s’agit pas dans le discours de « suivre cette règle très sévère des rythmiciens ou des musiciens » [35], celle précisément qui postule le respect d’intervalles égaux. Chacun de ces intervalles isochrones, délimité par une battue, constitue une mesure (modus) ; cet enchaînement donne lieu à une pulsation régulière, principe fondamental du rythme musical et du caractère rythmique — c’est-à-dire celui qui respecte strictement un rythme.

Si est rythmique (numerosum), dans tous les sons des instruments et de la voix, ce qui a certaines battues (impressiones) et ce que nous pouvons mesurer par des intervalles égaux (interuallis aequalibus), ce genre de rythmes, à condition qu’il ne soit pas employé en continu, figure parmi les mérites du discours. [36]

L’isochronie se définit par la répétition d’un intervalle de durée qui est marqué par une battue (impressio) [37] et qui constitue un étalon de référence. Ce principe de régularité peut être observé dans la prose, notamment dans la figure de l’isokolon (égalité des membres), mais ne saurait constituer la règle générale ; il doit faire l’objet d’un emploi circonspect pour éviter la monotonie, mais aussi une configuration artificielle et prévisible. Comme les pieds, les intervalles de durée doivent donc suivre la règle de la uarietas. Dans la prose, ils peuvent être égaux ou bien inégaux [38]. L’orateur se trouve dès lors face à une difficulté liée à la fois à la liberté de la prose et à son caractère non mesuré : il lui faut choisir le rythme le mieux adapté à sa stratégie oratoire et le rendre parfaitement perceptible à son auditoire, sans pour autant céder à la tentation de l’isochronie systématique :

Mais cette course de rythmes — je veux dire celle de la prose, car elle est bien différente dans les vers — n’est point telle que rien ne sorte de la mesure (extra modum). Car dans ce cas, ce serait un poème. Cependant, toute prose, si elle ne boite pas, ne déborde pas, pour ainsi dire, mais avance d’un pas égal et constant (aequabiliter constanterque), est dite « bien rythmée » (numerosa). Dans la prose, est considéré comme « bien rythmé » non pas ce qui est tout entier constitué de rythmes, mais ce qui se rapproche le plus de rythmes. Il est donc plus difficile de faire de la prose que des vers, pour cette raison que dans ces derniers, il existe une certaine loi fixe qu’il faut absolument suivre, alors que dans la prose, rien n’est établi par avance, si ce n’est qu’elle ne doit pas être dépourvue de mesure ni être étriquée, relâchée ou débordante. C’est pourquoi il n’y a pas dans la prose ces sortes de mesures marquées par les battues propres à l’art de jouer de la tibia (tibicinii percussionum modi), mais un circuit qui englobe tout et une configuration phrastique bien close et bien aboutie dont est juge le plaisir qu’en retirent les oreilles. [39]

Dans ce passage essentiel de l’Orator, Cicéron éclaire ce qui distingue le rythme poétique et musical du rythme oratoire, notamment la question de l’isochronie et de la pulsation. Il rappelle que, contrairement au vers accompagnés de la tibia, la succession des combinaisons rythmiques dans la prose ne suit pas une mesure musicale, mais « avance d’un pas égal et constant » (aequabiliter constanterque). Cela suggère que dans la prose bien rythmée, les rapports arithmétiques entre les différentes durées successives, établis par les lois du nombre, sont davantage guidés par la proportion que par la régularité [40]. En outre, bien que la prose ne soit pas mesurée au sens musical du terme, elle ne doit pas être dépourvue de mesure (ne immoderata). Ce modus concerne moins la microstructure de la phrase (les pieds) que sa macrostructure (membres et périodes). En effet, l’insistance faite sur la configuration circulaire (comprehensio) et parfaitement close (clausa et terminata) de la phrase suggère que le numerus trouve son expression la plus aboutie dans la période oratoire [41]. Unité sémantique, rythmique et respiratoire, celle-ci « doit embrasser un sens complet, être évidente pour pouvoir être comprise et respecter une mesure pour pouvoir être retenue par la mémoire » [42]. Cette mesure est bien différente de la mesure musicale, car il ne s’agit pas pour l’orateur de soumettre les unités rythmiques à une pulsation, mais de les organiser en segments d’une durée modérée, ni trop courte, ni trop longue. Plus précisément, Cicéron considère qu’une période complète est constituée de quatre membres. La durée de ces membres correspondrait approximativement à celle de l’hexamètre dactylique [43]. Il précise bien qu’« il s’agit d’une moyenne car [il] ne parle pas du vers et la prose est quelque peu plus libre » [44]. Dans une perspective axiologique héritée d’Aristote, Cicéron considère donc ce modus autant comme un cadre duratif déterminé qu’un équilibre à observer dont les oreilles sont juges — règle qui distingue fondamentalement le numerus du metrum.

 La mise au point terminologique de Quintilien : rhythmos et numerus

Dans son Institution Oratoire, Quintilien affirme d’emblée que son exposé sur le rythme oratoire s’inspire de la réflexion cicéronienne, et qu’il n’insistera que sur les points qui posent un problème [45] ; or, l’équivalence linguistique entre ῥυθμός et numerus en fait visiblement partie. Quintilien la replace dans son contexte polémique :

Cicéron dit très souvent que tout cela doit être constitué de rythmes (numeris) ; pour cette raison, certains le blâment, sous prétexte qu’il enchaîne le discours par des rythmes (rhythmos). De fait, numeri correspond à rhythmoe, comme Cicéron lui-même l’a établi et à sa suite Virgile : « je me souviens des rythmes ; si seulement je tenais les mots » (Ecl. IX, 45) et Horace : « il s’emporte en des rythmes / affranchis de leur loi » (Carm. IV, 2, 11). Ils attaquent donc, entre autres, cette déclaration  : « car les foudres de Démosthène n’auraient pas été lancées avec autant de force si des rythmes (numeris) n’avaient pas vrillé autour d’elles ». S’il a dans l’esprit des « rythmes » (rhythmis), je ne suis pas d’accord. Car, comme je l’ai dit, les rythmes (rhythmi) n’ont pas de fin déterminée ni de variété dans leurs combinaisons, mais se déroulent jusqu’à la fin suivant le levé et le frappé qu’ils ont observés au début. Or, la prose ne suit pas le claquement des doigts. [46]

Le raisonnement de Quintilien n’est pas si simple à saisir à la première lecture et la mise au point à laquelle il se livre soulève une difficulté majeure, qui concerne l’usage des termes numerus et rhythmos /rhythmus. Quintilien rappelle tout d’abord l’équivalence cicéronienne entre le grec rhythmos et le latin numerus. Cette équivalence est parfaitement intégrée dans la tradition poétique, comme le suggèrent les citations de Virgile et d’Horace. Ensuite, Quintilien récuse cette équivalence : l’expression cicéronienne numeris contorta n’a pas la même signification, selon lui, que rhythmis contorta. Pourquoi s’oppose-t-il ainsi à l’usage terminologique instauré par Cicéron ? Si l’on considère précisément le passage cité de l’Orator, il est clair que le terme numerus renvoie bien, pour Quintilien aussi, à l’art d’agencer le discours en fonction des lois du nombre. Cicéron y démontre l’importance de lier les unités du discours (apte dicere) afin d’obtenir un style qui allie carrure et fluidité [47]. Dans ce passage, l’Arpinate, pour argumenter et illustrer son propos, cite un extrait de son Pro Cornelio (8, 9, 1 8) [48] et un extrait d’un discours prononcé par Gracchus [49]. Dans ces deux exemples, il modifie l’ordre des mots, ce qui a pour effet d’altérer le rythme de la phrase [50] :



Dans le premier exemple, changer l’agencement des mots conduit à la destruction des clausules (péon 1er + spondée : -īssĕ sŭpĕrāri, -rēsquĕ sŭpĕrārunt ; trochée + crétique : -tōquĕ uīcĕrunt). Dans la nouvelle configuration, l’absence de rythme retire toute musicalité aux chutes phrastiques ; en outre, la délimitation des membres, rendue perceptible dans la phrase originale par la présence de ces clausules, n’est dès lors plus aussi claire à l’oreille. Pour cette raison, Cicéron conclut sa démonstration en affirmant que si la pensée et les mots restent les mêmes, toute l’efficacité du rythme a été anéantie, notamment parce que ce qui était bien enchaîné a été détaché (ex aptis dissoluta) [51]. Le même raisonnement avait été auparavant tenu par Démétrios de Phalère dans son traité Du Style au sujet d’une période de Démosthène : « Si l’on détruit le caractère périodique de la phrase en l’agençant différemment, le contenu reste le même, mais il n’y aura plus de période » [52]. L’exercice inverse est opéré sur l’exemple de Gracchus : en modifiant l’ordre des mots, Cicéron obtient une chute en ditrochée (īmprŏbāre), clausule qu’il affectionne particulièrement. De plus, cette nouvelle configuration permet de mettre l’accent sur le polyptote antiphrastique improbos probet probos improbare. La juxtaposition en chiasme des termes renforce les allitérations et accroît indéniablement la musicalité de l’ensemble. Enfin, pour donner plus de poids à son argumentation, Cicéron invoque le style de Démosthène, dont il apprécie particulièrement caractère vibrant et bien rythmé [53]. Cette démonstration a pour vocation de répondre à certaines critiques selon lesquelles le rythme dans la mise en forme du discours prendrait, chez Cicéron, une place bien trop importante, plus appropriée à la musique qu’à l’éloquence.


À la lumière de cet exemple, on comprend mieux pourquoi Quintilien n’admet pas l’équivalence entre rhythmos et numerus. Comme elle risque d’entraîner une confusion entre le rythme musical et le rythme oratoire, Quintilien choisit d’évoquer le premier par la translittération rhythmus/rhythmos. Suivant Cicéron, il le définit comme une structure répétitive et prévisible, dépourvue de uarietas (nec ullam in contextu uarietatem), dans laquelle les rapports rythmiques entretenus par les durées du levé (sublatio) et du frappé (positio) des pieds sont maintenus jusqu’à ce que survienne éventuellement une modulation. Cette conservation des rapports rythmiques va de pair avec le respect d’une mesure musicale et d’une pulsation régulière. De plus, le rythme musical, contrairement au mètre et au rythme oratoire, ne comporte aucune borne (neque finem habent certum), ne correspond à aucune étendue [54]. Il peut se dérouler à l’infini — on pense en particulier au rythme des percussions. Chez Quintilien le terme numerus évoque donc exclusivement le rythme oratoire, alors que dans les traités cicéroniens, il peut faire référence au rythme musical et au rythme oratoire :

Pour ma part du moins, afin de ne pas tomber sous le coup de la calomnie qui n’a pas même épargné M. Tullius, j’exige que lorsque je parlerai comme convenu de rythme (numerus) et partout où j’en ai déjà parlé, on comprenne que je parle du rythme oratoire (oratorius numerus). [55]

En réservant le terme rhythmos au rythme musical, Quintilien rappelle que la théorie musicale et notamment la rythmique sont héritées de l’enseignement des Grecs, en particulier d’Aristoxène de Tarente [56] ; en regard, la restriction du champ d’application de numerus lui permet d’affirmer pleinement l’héritage cicéronien dans la théorie et la pratique du rythme oratoire. Cette mise au point terminologique doit être prise en considération dans la traduction ; ainsi, le rappel des reproches adressés à Cicéron se comprend bien mieux :

Cicéron dit très souvent que tout cela doit être constitué de rythmes (numeris) ; pour cette raison, certains le blâment, sous prétexte qu’il enchaîne le discours par des rythmes musicaux (rhythmos). De fait, numeri correspond à rhythmoe, comme Cicéron lui-même l’a établi et à sa suite Virgile : « je me souviens des rythmes ; si seulement je tenais les mots » (Ecl. IX, 45) et Horace : « il s’emporte en des rythmes / affranchis de leur loi » (Carm. IV, 2, 11). Ils attaquent donc, entre autres, cette déclaration  : « car les foudres de Démosthène n’auraient pas été lancées avec autant de force si des rythmes (numeris) n’avaient pas vrillé autour d’elles ». S’il a dans l’esprit des « rythmes musicaux » (rhythmis), je ne suis pas d’accord. Car, comme je l’ai dit, les rythmes musicaux (rhythmi) n’ont pas de fin déterminée ni de variété dans leurs combinaisons mais se déroulent jusqu’à la fin suivant le levé et le frappé qu’ils ont observés au début. Or, la prose ne suit pas le claquement des doigts. [57]

Suivant la même logique, l’adjectif numerosus chez Quintilien fait uniquement référence au caractère bien rythmé de la prose, celui qui observe un oratorius numerus ; pour évoquer le caractère rythmique de la poésie chantée, Quintilien emploie la translittération du grec enrhythmus. C’est en fonction de cette mise au point terminologique qu’il reformule le meson du rythme oratoire :

Cicéron le voit parfaitement et donne souvent la preuve qu’il recherche ce qui est bien rythmé (numerosum), en sorte qu’il préfère que la composition ne soit pas arythmique (arrhythmum) — ce qui serait une marque d’ignorance et de rusticité — plutôt que rythmique (enrhythmum) — caractère propre à la poésie. De la même façon, nous qui ne voulons pas être sportifs professionnels (palaestritas), ne voulons pas non plus être ceux que l’on appelle « antisportifs » (apalaestroe). [58]

Conformément à la tradition rhétorique, Quintilien définit le caractère bien rythmé (numerosum) comme le respect d’une position intermédiaire entre l’arythmie et le rythme poétique. Ainsi, le caractère bien rythmé est ce qui contient du rythme sans être rythmique — compromis parfaitement établi par Cicéron. La comparaison avec le sport, plus précisément avec la palestre, clarifie ce compromis : on peut faire du sport sans être un sportif professionnel. Cette référence à la palestre est loin d’être anodine. En effet, dans l’Orator  [59], Cicéron compare les orateurs qui ne recherchent pas les effets rythmiques, c’est-à-dire ses adversaires atticistes, à des ἀπάλαιστροι ; en reprenant cette image, Quintilien affirme donc, une fois de plus, son adhésion à l’esthétique cicéronienne. De plus, le jeu sur les préfixes a-/en- (arrhythmum/enrhythmum, palestrita/*apalaestros) pourrait suggérer que Quintilien s’inspire ici directement d’une source grecque, vraisemblablement de Denys d’Halicarnasse [60]. Ce dernier établit en effet très clairement et de façon récurrente la distinction entre ce qui est rythmique (ἔρρυθμον) et bien rythmé (εὔρυθμον) ; la prose est bien rythmée car elle soumet les rythmes poétiques à ses propres règles, gouvernées par les principes de variété (ποικιλία) et de variation (μεταβολή). Tout en usant de rythmes, la prose conserve donc son caractère propre, distinct de celui du poème [61].


Cette mise au point de Quintilien a certainement largement contribué à élucider la théorie cicéronienne et à établir durablement une distinction nette entre rythme oratoire et rythme musical. En témoigne notamment Diomède qui souligne que « l’orateur ne doit employer ni des rythmes musicaux ni des mètres (neque rythmis neque metris), sinon, il ne semblerait pas déclamer un discours mais chanter un poème » [62]. Il faut bien entendre par rhythmis les rythmes propres au chant (carmen). Ainsi, suivant l’usage instauré par Quintilien, Diomède emploie la translittération rhythmos au sens de rythme musical, dans une perspective générique qui s’attache à particulariser deux paroles : le discours et le chant.

 Conclusion

Le transfert terminologique de ῥυθμός à numerus permet à Cicéron d’affirmer d’emblée que le rythme oratoire dans l’éloquence romaine, bien qu’il ne soit pas sans rapport avec son prédécesseur grec, répond à des lois qui lui sont propres. Le numerus doit ainsi constamment conjuguer les lois du nombre au principe de la varietas, tant dans les combinaisons des pieds que dans les intervalles de durée. Néanmoins, ce transfert pose un problème : comme ῥυθμός, numerus peut désigner le rythme oratoire, mais aussi le rythme musical. Bien que Cicéron s’attache, de façon récurrente, à les distinguer, cette ambiguïté terminologique a très probablement alimenté les critiques à son égard. Quintilien, tout en se présentant comme l’héritier de l’esthétique cicéronienne, prend donc le parti d’évoquer le rythme de la prose, et seulement lui, par le terme numerus  ; le rythme chanté, issu de la pratique grecque, est dès lors appelé par la translittération grecque rhythmos /rhythmus. Ainsi, Quintilien opère la synthèse entre l’héritage grec et la tradition latine du rythme :



Hormis cette mise au point terminologique, certes essentielle, la théorie rythmique de Quintilien reste fidèle à celle de Cicéron : si le rythme de la poésie chantée suit une mesure musicale et se fonde sur la répétition de motifs et de combinaisons, le rythme de la prose ne saurait se laisser brider par de telles contraintes. C’est sa liberté qui en fait toute la force opératoire, mais aussi toute la complexité. Bien qu’il ne soit pas soumis à une pulsation et qu’il ne réponde pas à des schémas quantitatifs ou accentuels prévisibles, il doit pouvoir être perçu sans ambiguïté par l’auditoire. Modulation et variété, voilà donc les fondements du rythme déclamé. Pour reprendre la formule d’H. Meschonnic, « rythme dans le langage n’a pas le même sens que dans la musique. Il ne peut, il ne doit y avoir une théorie unique du rythme » [63]. Lorsque Cicéron défend l’emploi d’une oratio numerosa, il entend donc par là une prose soignée dans laquelle intervient un numerus qui se distingue du rythme battu de la parole chantée, un rythme libre qui pourrait s’apparenter, hypothétiquement, à ce que l’on appelle désormais le tempo rubato, parole musicale qui « naît bien de la liberté même du geste vocal, symbole d’un acte qui ne saurait se soumettre à la fixité d’une forme faisant obstacle à son libre déploiement » [64].

Notes

[1Cicéron, Orator, 67 : quicquid est enim, quod sub aurium mensuram aliquam cadit, etiamsi abest a uersu – nam id quidem orationis est uitium – numerus uocatur, qui Graece ῥυθμὸς dicitur. Voir aussi Cic. Or., 170 ; Quintilien, Institution Oratoire, IX, 4, 45.

[2Nicolas, C., Sic enim appello... Essai sur l’autonymie terminologique bilingue gréco-latine chez Cicéron, Louvain-Paris-Dudley (Ma), Peeters, 2005, p. 124.

[3L’équivalence entre rythme et nombre est maintenue en français par le biais de cette même convergence isotopique. Voir notamment la définition de nombre dans le Littré  : « Harmonie qui résulte d’un certain arrangement de mots dans la prose et dans les vers », « Le nombre oratoire, le rhythme plus ou moins large de la phrase éloquente ».

[4Aristote Rhétorique, III. 8, 1408b 28 29 : ὁ δὲ τοῦ σχήματος τῆς λέξεως ἀριθμὸς ῥυθμός ἐστιν [...].

[5Chiron, P., Un rhéteur méconnu, Démétrios de Phalère (ps. Démétrios de Phalère). Essai sur les mutations de la théorie du style à l’époque hellénistique, Paris, Vrin, 2001, p. 67.

[6Voir Cicéron, De Oratore, III, 177 ; Or., 185 ; Quint., 2, 21, 1. Sur le concept σχῆμα / figura, voir Celentano, M. S., Chiron, P. et Noël, M.-P., Skhèma/Figura : formes et figures chez les Anciens : rhétorique, philosophie, littérature, Paris, ENS rue d’Ulm, 2004.

[7Sauvanet, P., Le rythme et la raison. I – Rythmologiques, Paris, Kimé, 2000, p. 167.

[8Benveniste, E., Problèmes de linguistique générale, Paris, Gallimard, 1951, p. 333.

[9Cette conception est exposée par Aristote, Métaphysique, 985b 13 17. Voir Benveniste, 1951, p. 328.

[10Arist. Rhét., III. 8, 1408b 28 29.

[11Aristoxène, Elementa Rhythmica, 2, 9.

[12Expression empruntée à Bélis, A., Aristoxène et Aristote, le traité d’harmonique. Étude et commentaire, Paris, Klinksieck, 1986, p. 204.

[13Voir Cic. De Or., III, 53.

[14Voir Cic. Or., 170 ; 227. Idée reprise par Quintilien, Inst., IX, 4, 6.

[15Concernant la querelle atticiste, l’état de la question est établi par Wisse, J., « The Intellectual Background of the Rhetorical Works », dans J. M. May (dir.), Brill’s Companion to Cicero. Oratory and Rhetoric, Leiden, Brill, 2002, p. 364 368, et par Narducci, E., « Brutus : the History of Roman Eloquence », ibid., p. 408-412. E. Narducci consacre également un chapitre complet sur ce sujet dans Cicerone. La parola e la politica, Bari, Laterza, 2009, p. 366-382.

[16Cic. Or., 170 : sed habet nomen inuidiam, cum in oratione iudiciali et forensi numerus Latine, Graece ῥυθμὸς inesse dicitur. nimis enim insidiarum ad capiundas auris adhiberi uidetur, si etiam in dicendo numeri ab oratore quaeruntur. hoc freti isti et ipsi infracta et amputata locuntur et eos uituperant qui apta et finita pronuntiant.

[17Sur le choix de Lysias comme modèle par la nouvelle génération atticiste, voir Wisse, J., « Greeks, Romans and the Rise of Atticism », dans J. G. J. Abbenes, S. R. Slings et I. Sluiters (dir.), Greek Literary after Aristotle : a Collection of Papers in Honour of D. M. Schenkeveld, Amsterdam, V. U. University Press, 1995, p. 67 ; Narducci, 2002, p. 410.

[18Voir Cic. Or., 190 ; 201 ; Quint. Inst., IX, 4, 116.

[19Meschonnic, H., Critique du rythme. Anthropologie historique du langage, Paris, Verdier, 1982, p. 404. Voir également Gentili, B. et Lomiento, L., Metrica e ritmica : storia delle forme poetiche nella Grecia antica, Milano, Mondadori Università, 2003, p. 68 90 ; Aujac, G. et Lebel, M., Denys d’Halicarnasse, opuscules rhétoriques, tome III, La Composition stylistique, Paris, les Belles Lettres, 2003, p. 91.

[20Cic. De Or., III, 176-177 : nihil est enim tam tenerum neque tam flexibile neque quod tam facile sequatur quocumque ducas quam oratio. ex hac uersus, ex eadem dispares numeri conficiuntur ; ex hac haec etiam soluta uariis modis multorumque generum oratio.

[21Dangel, J., « Prolégomènes », dans J. Dangel (dir.) Le poète architecte : arts métriques et art poétique latins, Louvain-Paris-Dudley (Ma), Peeters, 2001, p. 4.

[22Voir Quint. Inst., IX, 4, 52. Cela est vrai aussi pour la langue grecque. Voir Arist. Rhét., III. 8, 1408b 34 ; Démétrios de Phalère, Du Style, 43.

[23Cic. Or., 183 184 ; Quint. Inst., IX, 4, 53.

[24Cic. Or., 195 196 : ego autem sentio omnis in oratione esse quasi permixtos et confusos pedes. nec enim effugere possemus animaduersionem, si semper isdem uteremur, quia nec numerosa esse ut poema neque extra numerum ut sermo uolgi esse debet oratio — alterum nimis est uinctum, ut de industria factum appareat, alterum nimis dissolutum, ut peruagatum ac uolgare uideatur ; ut ab altero non delectere, alterum oderis.

[25Voir Dover, K., The Evolution of Greek Prose Style, New-York, Oxford, Clarendon Press, 1997, p. 174 ; Kennedy, G. A., Classical Rhetoric and its Christian Secular Tradition from Ancient to Modern Times, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1999, p. 91 93.

[26Arist. Rhét., III. 8, 1408b 21 22 : τὸ δὲ σχῆμα τῆς λέξεως δεῖ μήτε ἔμμετρον εἶναι μήτε ἄρρυθμον.

[27Arist. Rhét., III. 8, 1409a 22 23 : εὔρυθμον δεῖ εἶναι τὴν λέξιν καὶ μὴ ἄρρυθμον. Voir également Démétrios de Phalère, Du style, 42 ; 117.

[28Arist. Rhét., III. 8, 1408b 30 32 : διὸ ῥυθμὸν δεῖ ἔχειν τὸν λόγον, μέτρον δὲ μή• ποίημα γὰρ ἔσται. ῥυθμὸν δὲ μὴ ἀκριβῶς• τοῦτο δὲ ἔσται ἐὰν μέχρι του ᾖ.

[29Voir Arist. Rhét., III, 8, 1408b 26 28 : τὸ δὲ ἄρρυθμον ἀπέραντον, δεῖ δὲ πεπεράνθαι μέν, μὴ μέτρῳ δέ• ἀηδὲς γὰρ καὶ ἄγνωστον τὸ ἄπειρον (l’arythmique est indéterminé ; or, doit être déterminée, mais pas par un mètre. De fait, l’indéterminé fait obstacle au plaisir et à la connaissance).

[30Chiron, 2001, p. 263.

[31Voir Arist. Rhét., III. 8, 1408b 22 26 : τὸ μὲν γὰρ ἀπίθανον (πεπλάσθαι γὰρ δοκεῖ), καὶ ἅμα καὶ ἐξίστησι • προσέχειν γὰρ ποιεῖ τῷ ὁμοίῳ, πότε πάλιν ἥξει • ὥσπερ οὖν τῶν κηρύκων προλαμβάνουσι τὰ παιδία τὸ « τίνα αἱρεῖται ἐπίτροπον ὁ ἀπελευθερούμενος ; » « Κλέωνα » ( fait obstacle à la persuasion (car il semble artificiel) et en outre, il déconcentre. En effet, il attire l’attention sur ce qui est identique et sur le moment où celui-ci se répète. Il en va ainsi lorsqu’à la question des hérauts : « Qui l’affranchi choisit-il comme patron ? », les enfants répondent : « Cléon ! »). Voir Chiron, 2001, p. 67.

[32Arist. Rhét., III. 8, 1408b 31 1409a 6 ; Démétrios de Phalère, Du Style, 39 43.

[33Voir Cic. Or., 192.

[34Quintilien (Inst., IX, 4, 91) reprend cette idée d’une variété combinatoire inhérente au numerus oratoire.

[35Cic. De Or., III, 190 : neque sunt haec rhythmicorum aut musicorum acerrima norma dirigenda.

[36Cic. De Or., III, 185 : si numerosum est id in omnibus sonis atque uocibus, quod habet quasdam impressiones et quod metiri possumus interuallis aequalibus, recte genus hoc numerorum, dummodo ne continui sint, in orationis laude ponetur.

[37Sur le sens musical du terme impressio, voir Pighi, G. B., Studi di Ritmica e Metrica, Torino, Bottega d’Erasmo, 1970, p. 70 71.

[38Voir Cic. De Or., III, 186.

[39Cic. Or., 198 : nec uero is cursus est numerorum — orationis dico ; nam est longe aliter in uersibus — nihil ut fiat extra modum ; nam id quidem esset poema ; sed omnis nec claudicans nec quasi fluctuans et aequabiliter constanterque ingrediens numerosa habetur oratio. atque id in dicendo numerosum putatur, non quod totum constat e numeris, sed quod ad numeros proxime accedit ; quo etiam difficilius est oratione uti quam uerstibus, quod in illis certa quaedam et definita lex est, quam sequi sit necesse ; in dicendo autem nihil est propositum, nisi ut ne immoderata aut angusta aut dissoluta aut fluens sit oratio. itaque non sunt in ea tamquam tibicinii percussionum modi, sed uniuersa comprehensio et species orationis clausa et terminata est, quod uoluptate aurium iudicatur.

[40Sur l’intrication du rapport et de la proportion voir Ghyka, M., Essai sur le rythme, Paris, Gallimard, 1938, p. 28 ; concernant plus spécifiquement le discours, voir Meschonnic, 1982, p. 225.

[41Voir Cic. Brutus, 162 ; Or., 149 ; 213 214 ; 221 ; Quint. Inst., IX, 4, 115 ; 121 ; 124.

[42Quint. Inst., IX, 4, 125 : praestare debet ut sensum concludat ; sit aperta, ut intellegi possit, non inmodica, ut memoria contineri.

[43Voir Cic. Or., 221 222 ; Quint. Inst., IX, 4, 125.

[44Cic. Or. 221 : sed habeo mediocratis rationem ; nec enim loquor de uersu et est liberior aliquanto oratio.

[45Quint. Inst., IX, 4, 1 2.

[46Quint. Inst., IX, 4, 53 55 : at Cicero frequentissime dicit totum hoc constare numeris, ideoque reprehenditur a quibusdam tamquam orationem ad rhythmos alliget. Nam sunt numeri rhythmoe, ut et ipse constituit et secuti eum Vergilius, cum dicit « Numeros memini ; si uerba tenerem » et Horatius « Numerisque fertur / lege solutis ». Inuadunt ergo hanc inter ceteras uocem : « neque enim Demosthenis fulmina tantopere uibratura » dicit « nisi numeris contorta ferrentur » : in quo si hoc sentit : « rhythmis contorta », dissentio. nam rhythmi, ut dixi, neque finem habent certum nec ullam in contextu uarietatem sed qua coeperunt sublatione ac positione ad finem usque decurrunt ; oratio non descendet ad crepitum digitorum.

[47Cic. Or., 232 236.

[48Neque me diuitiae mouent quibus omnes Africanos et Laelios multi uenalicii mercatoresque superarunt, neque uestis aut caelatum, aurum et argentum quo nostros ueteres Marcellos Maximosque multi eunuchi e Syria Agyptoque uicerunt, neque uero ornamenta ista uillarum quibus Lucium Paulum et Lucium Mummium qui rebus his urbem Italiamque omnem referserunt ab aliquo uideo perfacile Deliaco aut Syro potuisse superari.

[49Abesse non potest quin eiusdem hominis sit probos improbare qui improbos probet.

[50Quintilien (Inst., IX, 4, 14 15) reprend ces deux exemples dans son traité pour illustrer également l’importance de l’ordre des mots dans le numerus oratoire.

[51Cic. Or., 233 : uidesne ut ordine uerborum paululum commutato, isdem tamen uerbis stante sententia, ad nihilum omnia recidant, cum sint ex aptis dissoluta ? (vois-tu qu’en ayant changé un tout petit peu l’ordre des mots, alors même que la pensée demeure par les mêmes mots, tous les effets sont réduits à néant quand ce qui était lié a été détaché ?).

[52Démétrios de Phalère, Du Style, 11 : καθόλου δὲ οὐδεν ἡ περίοδός ἐστι πλὴν ποιὰ σύνθεσις. εἰ γοῦν λυθείη αὐτῆς τὸ περιωδευμένον καὶ μετασυντεθείη, τὰ μὲν πράγματα μένει τὰ αὐτά, περίοδος δὲ οὐκ ἔσται [...].

[53Sur l’influence de Démosthène dans la rhétorique cicéronienne, en particulier dans le contexte de la querelle atticiste, voir Narducci, 2009, p. 373-375.

[54Voir Quint. Inst., IX, 4, 50.

[55Quint. Inst., IX, 4, 57 : ego certe, ne in calumniam cadam, qua ne M. quidem Tullius caruit, posco hoc mihi, ut, cum pro composito dixero numerum et ubicumque iam dixi, oratorium dicere intellegar.

[56Quintilien (Inst., I, 10, 22) renvoie d’ailleurs à l’enseignement d’Aristoxène au début de son traité.

[57Quint. Inst., IX, 4, 53 55.

[58Quint. Inst., IX, 4, 56 : idque Cicero optime uidet ac testatur frequenter se quod numerosum sit quaerere ut magis non arrhythmum, quod esset inscitum atque agreste, quam enrhythmum, quod poeticum est, esse compositionem uelit : sicut etiam quos palaestritas esse nolumus, tamen esse nolumus eos qui dicuntur apalaestroe.

[59Cic. Or., 229 : itaque qualis eorum motus quos ἀπαλαίστρους Graeci uocant, talis horum mihi uidetur oratio qui non claudunt numeris sententias (c’est pourquoi tels les mouvements de ceux que les Grecs appellent ἀπάλαιστροι, tel me paraît le style des orateurs qui n’achèvent pas leurs phrases par des rythmes).

[60Quintilien (Inst., IX, 4, 89) prend d’ailleurs position par rapport à la théorie rythmique de Denys d’Halicarnasse, au sujet plus précisément du choix des pieds dans la prose.

[61Voir Denys d’Halicarnasse, De Demosthenis Dictione, 50, 44 47 ; 61 64 ; De Compositione Verborum, 25, 45 50 ; 61 63.

[62Diomède, Ars grammatica, de arte metrica, GL 1, 468, 5 6 : sed neque rythmis neque metris oratorem uti decet, ne non dicere sed carmen canere uideatur.

[63Meschonnic, 1982, p. 119.

[64Brelet, G., Le Temps musical. Essai d’une esthétique nouvelle de la musique. Tome I : la forme sonore et la forme rythmique, Paris, PUF, 1949, p. 270.

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