Pour une nouvelle forme de planification publique

Jean-Paul Vignal
Article publié le 30 juin 2010
Pour citer cet article : Jean-Paul Vignal , « Pour une nouvelle forme de planification publique  », Rhuthmos, 30 juin 2010 [en ligne]. https://www.rhuthmos.eu/spip.php?article84

L’un des éléments les plus intrigants, lorsque l’on compare les structures hiérarchisées et les structures auto-organisées en réseaux, est la quasi-disparition de la planification publique dans la seconde moitié du XXe siècle. Alors qu’elle est restée l’un des principes fondateurs des sociétés humaines depuis que nos lointains ancêtres se sont organisés pour chasser en groupe des animaux plus gros et mieux armés qu’eux, la planification publique a presque totalement cédé la place à une vague programmation, et à une planification du chacun pour soi que les organisations publiques et privées sont désormais pratiquement les seules à pratiquer, quand elles n’ont pas abandonné toute vision à long terme au profit de la maximisation du retour sur investissement du trimestre à venir. Ce naufrage avait une certaine logique dans une perspective libérale avancée de croissance infinie, mais n’en a plus aucune dans une perspective de fonctionnement durable fondée sur l’optimisation de l’utilisation des ressources disponibles plus que sur la course coûte que coûte à la découverte perpétuelle de ressources nouvelles.


La nécessité de revenir à une certaine forme de planification publique me paraît être une condition sine qua non de la sortie de crise. Elle est illustrée par le meilleur comportement relatif des pays dont l’économie est plus ou moins dirigée, que ce soit pour des raisons idéologiques et/ou pratiques (pénuries). Or, on fait actuellement exactement l’inverse : tels les Shadocks pompant, les banquent centrales injectent sans compter de l’argent dans le système en espérant, naïvement ou cyniquement suivant le cas, que la main magique du marché en fera bon usage, mais en engloutissant au passage toutes les ressources disponibles qui sont immédiatement converties par les marchés en instruments spéculatifs et/ou en liquidités parquées dans des paradis fiscaux au lieu d’être affectées au financement de nouveaux investissements productifs.


La façon dont cette « nouvelle planification » doit être conçue est la seconde condition de sortie de crise. On le dit peu, pour le moment, mais l’apocalypse financière n’est que l’une des conséquences désastreuses d’une dérive incontrôlée des modes de gouvernance hiérarchisée hérités de la longue période pendant laquelle la prévalence des économies d’échelle par la taille a favorisé la centralisation et la hiérarchisation. Cette époque est terminée. Non pas qu’il n’existe plus d’économies d’échelle par la taille, mais parce que les économies d’échelles par le nombre, illustrées par les fantastiques progrès du traitement de l’information « personnelle » sont désormais au moins aussi importantes, et redistribuent de fait le pouvoir d’agir et de faire de façon beaucoup plus équitable en donnant au plus grand nombre l’accès à des moyens de collecte, de traitement et de transmission de l’information qui étaient, jusqu’à il y a peu, le privilège exclusif des élites dirigeantes.


Or, que se passe-t-il ? Les modes de gouvernance restent les mêmes que quand le cheval et le pigeon voyageur étaient les moyens de transport de l’information les plus rapides, et que le transfert d’information était de ce fait essentiellement unilatéral, du haut vers le bas, du chef vers les sujets – les émeutes et les révolutions, d’une part, les triomphes et les fêtes publiques de l’autre, étant en pratique les seules façons, dramatiquement binaires, de faire remonter de l’information.


Ce systèmes fonctionnent de moins en moins bien pour des raisons qui semblent assez claires techniquement : dans un monde réel de plus en plus complexe en raison de la globalisation et de l’interconnexion croissante des multiples réseaux (politiques, religieux, sociaux, économiques, etc…) dans lesquels s’inscrit notre vie au quotidien, il n’est plus possible de fonctionner dans des systèmes hiérarchisées rigides, surtout s’ils s’ignorent entre eux. Or, pour qu’ils ne s’ignorent pas il faudrait des organisations centrales capables d’optimiser les décisions de terrain à tout moment. C’est ce qui a été fait pendant longtemps, et cette option reste possible en théorie, mais il est relativement simple de voir en pratique que l’énergie que prélèverait cette structure centrale sur l’ensemble du système pour pouvoir fonctionner serait tellement considérable qu’elle tuerait rapidement le système.


Il est donc essentiel de réinventer de nouveaux modes de gouvernances, dont le pouvoir de proposition sera organisé du bas vers le haut, afin de pouvoir prendre en compte toutes les spécificités « locales », et les systèmes de régulation multi-étagés, comme actuellement, mais qui au lieu de répondre à une logique de décision hiérarchisée (que veut l’étage d’au-dessus), répondraient à une logique d’arbitrage local (quel est l’intérêt de notre communauté en tant que telle).


Le plan deviendrait dans ce cadre la « feuille de route » et la référence de chaque niveau. Compte tenu de l’accélération des changements dans nos sociétés, il faudrait qu’il ne soit pas conçu comme une Bible absolue pour une période donnée, mais qu’il soit mis à jour en permanence pour prendre au mieux en compte l’évolution des capacités internes et de l’environnement du groupe auquel il s’appliquerait.


Une des conséquences les plus dramatiques du courtermisme absolu imposé par les financiers est, logiquement, d’avoir sacrifié le futur à l’instant. Il est douteux qu’on puisse sortir des difficultés que cette terrible erreur implique sans redonner au plus grand nombre la possibilité de se réinventer collectivement un futur qui soit plus respectueux des aspirations de chacun et remplace un système qui n’a plus de démocratique que le nom et dont les élections ne servent plus guère qu’à manifester une préférence pour des personnes sur lesquelles on sait n’avoir aucun contrôle pratique pendant toute la durée du mandat plus que d’exprimer sa préférence pour des projets.


Nota : on trouvera une discussion de ce texte ici.

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