Ce texte a déjà paru dans le catalogue E-Cité/Europe, Strasbourg, Apollonia, 2015, p. 26-30. Nous remercions Claire Dehove et WOS-Agences des hypothèses de nous avoir autorisé à le reproduire ici.
WORKSHOP EN PARTENARIAT AVEC LA HEAR ET LA FACULTÉ DES ARTS DE STRASBOURG – Wos agence des hypothèses/Claire Dehove avec François Duconseille, et avec les étudiants de scénographie HEAR et du Master Critique-essais de Strasbourg, Inès Sassi, Raimonda Tamuleviciute, Ikhyong Park, Laura Perrone, Loue Aveline – STRASBOURG DU 25 AU 29 NOVEMBRE 2013
Dans le domaine de la physique, la déflexion est le constat d’une déviation de trajectoire, due à cause externe. Des courants d’air ou des ondes sonores et lumineuses changent de direction en rencontrant une surface qui leur fait obstacle ou les réfléchit.
Généralisant la notion de flèche, la déflexion s’applique aux mouvements de déport du regard. Chaque objet de notre environnement culturel étant conçu pour focaliser l’attention - et surtout les objets d’art ou tout ce qui relève du spectaculaire - on peut mesurer la teneur subversive de toute entreprise dé-hiérarchisante et défocalisatrice.
En ce qui concerne la cartographie, si une carte est pensée, sous couvert de rigueur scientifique, comme une représentation objective et concrète de la réalité, nous savons aujourd’hui qu’elle est mensongère car toujours subjective. Pour qu’une carte rende compte des relations complexes d’un monde en trois dimensions, elle serait tenue non seulement de déformer la réalité mais d’incorporer une telle diversité d’informations qu’elle ne serait plus lisible. C’est ici qu’un outil tel qu’OpenStreetMap s’avère extrêmement précieux, puisqu’il permet à ses utilisateurs d’interagir librement en faveur de la richesse identitaire d’un territoire.
Le projet de Déflexion Cartographique de la zone transfrontalière Strasbourg-Kiehl vise à superposer à la zone elle-même une zone parallèle, augmentée ou diminuée selon le point de vue. Un tiers-espace qui lui est tangentiel tant il se sert de l’existant, de l’immanent, pour le distordre et le faire dériver autant que possible.
Élaborer la Déflexion Cartographique de la zone transfrontalière, c’est aborder la zone par les dehors qui la constitue. C’est déconstruire la relation duelle et en face à face – instrumentalisée par les œuvres de la commande publique - de deux pays limitrophes qui la caractérise, alors même que la dissolution de la ligne de démarcation condense la problématique de clôture et de protection de l’espace Schengen. C’est rendre visible ce que le dispositif Schengen s’efforce de rendre invisible, à savoir le partage ségrégationniste entre les citoyens européens légitimes et les groupes indésirables dont l’accès à cette zone est refusé aux limites externes de l’Europe.
C’est répertorier les anciens postes locaux de contrôle et de surveillance qui ont été dématérialisés et déterritorialisés via les données informatisées du monde global définissant les profils des inclus et des exclus.
C’est détourner les mises en scène de la zone comme emblème de libre circulation des flux et comme vitrine d’un territoire gentrifié et esthétiquement requalifié.
C’est restituer à la zone sa généalogie aseptisée par la dramaturgie du tourisme et des loisirs et redonner leur singularité aux anciennes bâtisses, entrepôts, voies ferrées et no man’s lands frontaliers gommés par la requalification. En les traçant, en les localisant et en leur redonnant un nom lié ou non à l’original.
C’est prélever dans la presse locale les événements, petits et grands, qui ont fait de la zone transfrontalière le théâtre de surgissements sociaux, de contestation écologique et politique ou d’opportunisme ordinaire.
C’est arpenter collectivement la zone à l’échelle 1, sous l’angle de son devenir cartographique, y compris les ponts, passerelles. Bref les circulations fluviales, routières, cyclistes, piétonnières.
C’est enregistrer images, sons, récits, micro-événements, situations humaines comme autant d’indices réels et fictionnels des transformations d’usages de la zone.
C’est greffer dans Open Street Map des propositions géolocalisées - hypothèses, haïkus audiovisuels, hybrides, énoncés d’états, d’actions et de paroles furtives, déliées de la chronologie etc. - qui se décomposent en autant d’ « objets » de perturbation de la carte interactive de la zone transfontalière. Mais, par inversion, c’’est la zone qui vient représenter à sa propre échelle ce qui a été énoncé et/ou inventé. Quand on s’y trouve physiquement, on l’appréhende en substituant des contre-usages à son état fonctionnel quotidien.
Étant donné le caractère hypothétique et déviationniste de la Déflexion Cartographique, la zone est mise en doute et en confusion par la simple évocation de sa réalité augmentée et de son utopie fictionnelle.
Du moins c’est ce qui pourrait advenir si l’occasion était donnée de poursuivre le projet au-delà ...
Hypothèse 670
L’hypothèse la plus efficace serait de déplacer Strasbourg vers le Rhin, selon eux.
The most effective hypothesis would be Strasbourg is moving towards the Rhin , according to them.
Hypothèse 671
Au fil du temps la dissolution de la ligne de démarcation serait intégrale.
Over time the dissolution of the demarcation line would be integral.
Hypothèse 672
La tension du pluriel et du global n’aurait rien à envier à la tension du singulier et du collectif.
The tension of plural and global would have nothing to envy to the tension of singular and collective.
Hypothèse 673
Suite à son déclin l’Europe serait saisie du rêve funeste et illusoire d’une communauté sans étrangers.
Following the decline of Europe would be caught by fatal and illusory dream of a community without foreigners.