La psychologie historique à la lumière du rythme

Pascal Michon
Article publié le 17 août 2011
Pour citer cet article : Pascal Michon , « La psychologie historique à la lumière du rythme  », Rhuthmos, 17 août 2011 [en ligne]. https://www.rhuthmos.eu/spip.php?article385

Après les grands récits, unitaire dans un cas, pluraliste dans l’autre, élaborés par l’anthropologie comparée et la sociologie historique, j’examine ici une troisième manière, plus fragmentaire mais pas moins productive, d’aborder l’histoire de l’homme occidental : celle de la psychologie historique.


Comme nous le verrons, la psychologie historique se caractérise par une stratégie de lutte contre le paradigme dualiste mobilisant un pluralisme historiste non-relativiste, beaucoup plus radicale que celles développées par ses concurrentes. D’où le rejet des simplifications fondées sur un principe téléologique anhistorique et une attention extrême aux spécificités des expériences d’individuation et de subjectivation. D’où également le privilège donné à une période historique particulière – quatre siècles d’histoire grecque – et le refus de s’engager dans une histoire de trop longue durée. Avec la psychologie historique, on se trouve en quelque sorte à la seconde extrémité du spectre des conceptions de l’histoire de l’homme occidental, et simultanément des théories du social, de l’individu et du sujet.


Comme dans les cas précédents, je présenterai et discuterai à la lumière du rythme, tout d’abord, les stratégies élaborées par les tenants de ce type d’approche pour surmonter le paradigme dualiste ; puis, leur contribution à notre connaissance de l’histoire du sujet et de l’individu en Grèce ancienne ; enfin, leur rapport au langage et au sens.

 Le « miracle grec » aux XIXe et XXe siècles

Quelques mots tout d’abord sur le choix de la période historique retenue. Le cas grec est particulièrement intéressant à examiner car il a toujours été un enjeu important dans les conflits qui, depuis les années 1850, ont régulièrement opposé la philosophie et l’histoire, mais aussi par la suite la sociologie et l’anthropologie aux deux premières. Par ailleurs, il constitue, avec le christianisme et le judaïsme, le troisième pilier de la conception que l’homme occidental se fait communément de ses origines depuis cette époque.


Au cours des premières décennies du XIXe siècle, Hegel a, on le sait, popularisé l’idée selon laquelle l’individualisme et le subjectivisme modernes descendraient du christianisme, à travers la Réforme et les Lumières. Cette conception historico-philosophique, pendant un temps assez fermement établie, a toutefois été rejetée quelques décennies plus tard par toute une série d’historiens, parmi lesquels Burckhardt et Renan. Le premier a mis l’accent sur la Renaissance et sur les conditions politiques nouvelles qui s’étaient alors propagées dans de nombreuses villes d’Italie. Tout en reconnaissant l’importance de la prédication christique, le second a défendu l’idée d’une origine plus ancienne, grecque, rationaliste et politique, de l’individu et du sujet modernes. L’une et l’autre de ces thèses ont, à leur tour, été remises en question, dans les premières décennies du siècle suivant, par la sociologie naissante. Celle-ci, sous la plume de Weber, a alors situé l’origine de l’individualisme, c’est-à-dire aussi bien du christianisme que de la rationalité occidentale, dans la période encore plus éloignée du prophétisme hébraïque.


Dans ces débats, l’histoire se distingue nettement de la philosophie et même de la sociologie : alors que celles-ci donnent, chacune à sa manière, le primat au religieux, les historiens en arguant du cas grec veulent montrer que la modernité a commencé hors, voire contre, la religion. Mais les unes et les autres mobilisent en fait des présupposés partagés : quelle que soit l’origine retenue, il s’agit toujours, d’une manière à la fois dualiste et linéaire, de retrouver le point de départ, l’acte de naissance, d’une nouvelle manière de vivre fondée sur la valorisation de l’individu et du sujet, puis de suivre jusqu’à nous l’écoulement des conséquences de cet acte initial.


Le cas grec a ainsi servi à repousser une part des conceptions dualistes de l’histoire de l’homme moderne mais il a aussi été simultanément, pour une autre part, un support très important de leur diffusion. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle et encore très fréquemment pendant la première moitié du suivant, de nombreux historiens ont ainsi repris à leur compte le thème renanien du « miracle grec » [1]. Pendant l’âge dit « archaïque », les Grecs auraient vécu, comme les autres civilisations de l’époque, dans un monde où le mythe dominait la conscience et où l’individu était fondu dans le groupe. Le surgissement de la science et de la philosophie, ainsi que la mise en place de la démocratie, auraient alors posé les bases de l’anthropologie moderne. La Rationalité et l’Esprit critique d’un côté, la Liberté et l’Égalité des citoyens, de l’autre, auraient donné une forme radicalement nouvelle à l’Homme grec. Ces deux principes auraient, par la suite, été repris et complétés par les Romains, qui les auraient transmis à l’Europe moderne et, ainsi, au monde entier.


Cette conception, qui ne se différencie guère, au moins formellement parlant, des autres formes d’historicisme que nous avons déjà évoquées, est à la base d’innombrables travaux et nous pouvons en suivre l’écho jusqu’aux années 1960.


C’est l’idée que soutient Bruno Snell dans son célèbre livre paru en 1946 : La Découverte de l’Esprit. La genèse de la pensée européenne chez les Grecs [2]. Entre le VIIIe et le Ve siècle, les Grecs auraient découvert progressivement, puis de plus en plus rapidement le fonctionnement de l’esprit humain. Ils auraient ainsi ouvert une nouvelle page dans l’histoire de l’humanité dont nous serions les héritiers plus ou moins conscients.


C’est elle que défend toujours en 1960, dans ses Problèmes de psychologie historique, Zevedei Barbu, pourtant intéressé par le devenir de la notion de personne et non plus par celui de l’esprit ou de l’individu [3]. Selon Barbu, le surgissement de la personne en Grèce ancienne correspondrait à l’apparition des deux dimensions psychologiques qui vont former, par la suite, la structure quasiment immuable de la subjectivité occidentale. La personne grecque intégrerait à la fois un processus « d’individuation » rassemblant en un centre unique les différentes forces psychiques, et un processus de « rationalisation » permettant à l’individu de se situer dans les systèmes d’ordre extérieurs – sociaux, religieux et cosmiques. Au Ve siècle, les Grecs auraient ainsi trouvé pour la première fois le juste équilibre entre ces deux formes d’intégration, qui par ailleurs caractériseraient la psychologie éternelle de la personne.


On retrouve encore en 1991 ce type d’approche dans l’étude de Jacqueline de Romilly consacrée à L’essor de la psychologie dans la littérature grecque classique [4]. Tout en développant des analyses assez précises des textes et des notions qu’ils véhiculent, Romilly déclare « adopter entièrement les perspectives de Snell » dans sa recherche d’une « origine de la psychologie » (p. 14). Celle-ci constituerait une science cumulative qui aurait affaire à une psyché humaine universelle et intangible. Il faudrait donc simplement comprendre comment et pourquoi les Grecs ont pu sortir de leur confusion intellectuelle à son sujet et la saisir, pour la première fois, dans sa réalité profonde.


Romilly convoque ainsi tout le paradigme historique dualiste : « C’est au cours du Ve siècle avant J.-C. que tout se découvre. Rien d’étonnant à cela : c’est la période où l’homme s’affranchit de la pensée mythique pour entrer dans le rationalisme. C’est le moment où l’individu commence à compter dans un régime depuis peu démocratique, et qui le devient de plus en plus au cours du siècle. C’est le moment où surgissent les grandes curiosités et les grandes espérances, où les techniques intellectuelles doivent permettre à ceux qui les acquièrent de bien plaider une cause en justice, d’intervenir avec efficacité en politique. C’est le moment où naissent la médecine et l’histoire. » (p. 10)


Et l’on n’est guère étonné de sa conclusion, qui reprend tous les topoi de la conception historiciste de l’histoire de l’individu et du sujet : « L’étude menée ici a fait apparaître, en l’espace d’un siècle, un essor incroyable de la psychologie dans les œuvres athéniennes. » (p. 215) Outre les contributions de la médecine et de la rhétorique, ces mutations auraient eu en dernière analyse deux causes principales : « La première est le surgissement d’un intérêt centré sur l’homme, la seconde le progrès déjà sensible de la notion d’individu. » (p. 215)

 La critique historiste du dualisme historiciste

L’idée de sortir de ce genre de récit téléologique et dualiste est ancienne. Elle remonte au moins à la critique diltheyenne de l’historicisme dans les dernières décennies du XIXe siècle [5] et à sa radicalisation par Simmel et Groethuysen dans les premières du suivant, dont j’ai déjà parlé ailleurs à propos de Dumont [6].


Pour le dernier Dilthey, il est impératif en effet d’abandonner toutes les conceptions qui réduisent l’histoire anthropologique de l’Occident à l’affirmation soudaine, suivie d’une diffusion linéaire et progressive, d’un point de vue unilatéral sur la vie et sur le monde. Hegel – mais j’ajouterai aussi les néo-kantiens comme Weber et tous leurs successeurs jusqu’à Dumont – font remonter les origines de l’homme moderne à la prédication monothéiste. Selon ces auteurs, l’homme moderne se définirait avant tout comme un être de volonté agissant en fonction de finalités éthiques. Et c’est pourquoi ils réduisent cette histoire à la seule affirmation du motif volitif. Mais de leur côté, les historiens du « miracle grec », attachés au primat de la raison, donnent trop d’importance au motif cognitif qui, s’appuyant sur la catégorie de cause, voit l’homme comme un simple élément du cosmos dont il suffirait de connaître le fonctionnement pour connaître également l’homme lui-même. De même, les historiens qui, comme Burckhardt pour la Renaissance, placent au centre de leur conception anthropologico-historique la catégorie de valeur, ont tort de définir l’homme comme un être agissant de manière principalement esthétique.


Toutes ces conceptions simplifient abusivement une histoire où les trois catégories fondamentales qui organisent la vie des êtres humains s’entrelacent, se chevauchent ou se combattent dans une torsade dont il convient de restituer l’histoire complexe. De plus, toutes reposent sur l’idée qu’un type de vision du monde se serait imposé d’un coup – que ce soit durant la période du prophétisme chrétien ou juif, au cours du miracle grec, ou encore pendant la Renaissance italienne. Enfin, toutes pensent que les historiens n’auraient donc qu’à suivre la diffusion plus ou moins linéaire et progressive de ce seul motif anthropologico-historique.


À cela, Dilthey objecte que les trois grands types de motifs selon lesquels les hommes peuvent donner sens à leur vie ont toujours existé, qu’ils sont une constante transcendantale de l’esprit humain, qu’il est totalement vain de chercher à en saisir la naissance et que nous ne pouvons qu’en analyser méticuleusement les entrelacs. Ce à quoi nous assistons dans chaque époque est un mélange conflictuel de manières d’organiser la vie, qui se repoussent, s’hybrident et se transforment sans cesse.


Simmel a par la suite radicalisé cette position. À ses yeux, ce ne sont pas trois types de visions du monde limités aux structures de l’esprit repérées par Kant qui concourent à la spirale de l’histoire anthropologique mais une infinité de motifs métaphysiques fondamentaux, tous également légitimes, qui se combinent les uns avec les autres dans un jeu complexe de réactualisation-réinterprétation, dont il est impossible de fixer un cadre transcendantal et dont nous ne pouvons que faire l’histoire. Simmel introduit une idée de prolifération qui n’existait pas chez Dilthey.


Dans ses essais sur l’histoire de l’individu moderne [7], il montre par exemple que le motif esthétique fondé sur la distinction qui caractérise l’individualisme de la Renaissance est en partie refoulé au XVIIIe siècle par le motif éthique et politique de l’individu libre et égal à tout autre, mais que le premier revient en force à l’intérieur même du second pendant la période romantique qui construit un nouveau mode d’individuation tenant en tension à la fois les valeurs de liberté-égalité et celles de distinction. Un quatrième type d’individualisme naît de la fusion des deux types précédents dans le cadre du développement du capitalisme et sa commune promotion des figures de la compétition libre et de la division du travail.


Groethuysen, qui a été à la fois élève de Simmel et éditeur de Dilthey, est la dernière figure importante du mouvement historiste allemand qui nous concerne ici. À ses yeux, comme pour ses prédécesseurs, les êtres humains interprètent en permanence ce qu’ils vivent et donnent une forme à l’indétermination première de leur vie. Ils n’ont pas de nature et ils ne sont que le produit de leurs propres interprétations. Mais au moins deux points le distinguent de ses prédécesseurs.


Premièrement, l’histoire qu’il reconstitue n’est plus seulement celle des points de vue sur le monde, celle des façons de donner sens à l’expérience d’un sujet qui serait d’une certaine façon déjà là, mais bien l’histoire de la constitution du sujet lui-même dans ses pratiques sociales et discursives. Anticipant une idée qu’aborderont un peu différemment Michel Foucault et surtout Jean-Pierre Vernant dans les années 1980, Groethuysen pense que, l’homme se problématisant continûment et de manières toujours nouvelles, l’histoire du sujet dépend donc à la fois de ses « expériences vécues en commun » qui forment le substrat de ces problématisations, des « formes langagières » ou des « types de discours » qui les sémantisent, et des « images de soi » ou plutôt, car ce terme daté n’est pas très bon puisqu’il ne s’agit plus de représentations, de « motifs sémantiques » que les unes et les autres collaborent à produire.


Dans Anthropologie philosophique, publié en allemand en 1931, tout en laissant de côté les pratiques sociales qui en sont les vecteurs, il décrit ainsi comment le dialogue philosophique, le discours scientifique et la pratique biographique constituent les trois types de discours ; l’âme, la nature, la personnalité, les trois motifs sémantiques, à partir desquels les Anciens ont organisé leurs pratiques du langage et occupé la place vide du je – Groethuysen parle dans le vocabulaire de l’époque d’ « égoïté originelle » [8]. Ce sont ces types de discours et ces motifs sémantiques qui ont été, selon lui, à l’origine de l’histoire anthropologique occidentale. Il faudrait suivre Groethuysen avec précision dans son récit qui montre comment ces modes discursifs et ces motifs se sont par la suite croisés, comment ils ont été refoulés par d’autres modes et motifs apparus au cours du temps, en interaction avec les mutations du substrat des expériences vécues, comment ils ont aussi été réinsérés dans les pratiques discursives et subjectives nouvelles, formant ainsi l’écheveau complexe de l’histoire des modernités occidentales. Je renvoie à l’analyse que j’en ai faite dans Éléments d’une histoire du sujet [9].


Le deuxième point qui distingue Groethuysen de ses prédécesseurs est que son anthropologie historique sort du principe idéaliste d’autonomie de la sphère du sens que conservaient en partie ceux-ci. Son récit, en particulier dans Origines de l’esprit bourgeois en France, où l’on sent l’influence marxiste, met en relation les pratiques discursives avec les pratiques économiques, sociales et politiques de leur époque
 [10]. Il décrit, par exemple, les conflits qui ont eu lieu au XVIIIe siècle entre différents groupes de clercs et la bourgeoisie pour le contrôle des modes de signifier et donc la subjectivation. Il en montre explicitement les enjeux éthiques et politiques [11].

 Ignace Meyerson et le programme d’une psychologie historique

On sait, au moins depuis Bachelard, que l’histoire de la pensée scientifique est généralement discontinue. Celle-ci progresse au gré d’une suite d’innovations souvent sans liens les unes avec les autres, dispersées au sein d’une période et d’un monde de pensée normale. Le cas de l’anthropologie historique n’échappe pas à la règle.


Dilthey, Simmel et Groethuysen ont ouvert la voie à une histoire du sujet et de l’individu totalement émancipée des divers modèles historicistes, qu’ils soient d’origine philosophique, sociologique ou même historique. Mais leur inspiration s’est par la suite perdue : si on lit encore Simmel, ce n’est pas pour ses contributions historiques ; quant à Dilthey et Groethuysen, ils sont aujourd’hui, au mieux, des objets d’érudition. C’est dans un tout autre contexte intellectuel, celui de l’école française de psychologie, que l’anthropologie historique a pu redémarrer d’un nouveau pied à travers l’œuvre d’Ignace Meyerson.


L’attribution de ce titre à la psychologie meyersonienne appelle toutefois une précision préliminaire. Tout au long de sa carrière, Jean-Pierre Vernant n’a cessé de rappeler l’importance de Meyerson, tout en portant lui-même très haut les couleurs de la psychologie historique [12]. Et l’un et l’autre ont revendiqué pour leurs travaux le titre d’anthropologie historique. Pourtant, ces travaux ont été largement ignorés par les historiens des Annales qui faisaient de cette appellation l’une de leurs marques de fabrique principales. André Burguière, par exemple, dans l’article qu’il consacre en 1978 à cette nouvelle branche de la recherche en plein développement, ne cite ni Meyerson ni Vernant [13]. Certains membres de cette école, comme Roger Chartier, avouèrent plus tard, avec quelque embarras, ne pas avoir lu Meyerson jusqu’à très récemment [14]. Jacques Revel expliqua, quant à lui, que ce rejet et cette ignorance tenaient essentiellement au fait que les notions de mentalité et d’outillage mental, qui avaient servi longtemps d’outils méthodologiques aux historiens des Annales, étaient des notions « inclusives », « fixistes » et en partie « réifiantes », alors que Meyerson défendait une méthodologie de la « complexité », une pensée du « procès » et une anthropologie fondée sur « l’activité symbolique » [15]. Ce bel hommage, qui était en même temps une autocritique étonnante, était un peu tardif mais il ouvrait au moins la voie à une revalorisation des apports Meyerson à l’anthropologie historique.


Dans son ouvrage, publié en 1948, Les Fonctions psychologiques et les Œuvres, Meyerson soutient l’idée qu’il est possible de reconstituer les mutations historiques des « fonctions psychologiques » en étudiant les « œuvres » dans lesquelles celles-ci se sont « objectivées » [16].


Le mot « œuvre » renvoie à toute production humaine, qu’elle soit matérielle ou sociale et quelle qu’en soit l’échelle : « Les actes des hommes aboutissent à des institutions et à des œuvres. » (p. 9) Ailleurs : « Le propre de l’homme est qu’il n’est pas passif à l’égard du monde qui l’environne : ses conduites sont actives-expérimentales, constructrices, fabricatrices. Il a incessamment édifié et il continue à édifier des œuvres, des institutions, des civilisations. Il a créé des diversités. [17] »


Or, ces œuvres sont des extériorisations ou des objectivations de « l’esprit » – je reviendrai plus bas sur ce terme : « Le psychologue sait que c’est par un effort de l’esprit que l’homme a édifié ces œuvres. [18] » La pensée humaine a tendance, en effet, « à extérioriser ses créations, ou plus exactement à les considérer comme des réalités extérieures ; et dans le cas où cette projection est le plus poussé, l’objet acquiert une véritable indépendance » (p. 31).


Le phénomène de l’objectivation oblige donc à chercher les « fonctions psychologiques » dans ces productions extérieures : « L’action, la pensée humaine s’expriment par les œuvres. Cette expression n’est pas un accident dans le fonctionnement mental. L’esprit ne s’exerce jamais à vide ; il n’est et ne se connaît que dans son travail, dans ses manifestations dirigées, exprimées, conservées. » (p. 10) Lors du colloque sur la notion de personne, il soulignera de nouveau ce paradoxe du caractère nécessairement extérieur de l’analyse psychologique : « Les œuvres les institutions, les choses variées qui constituent le cadre de la vie des hommes ont été édifiées par des efforts de l’esprit. Il est incarné en elles ; elles portent sa marque – peut-être faut-il dire ses marques. Et donc c’est dans ces créations qu’il faut le chercher, le découvrir. [19] »


Ainsi, et Jean-Pierre Vernant saura se souvenir de cette leçon, la psychologie n’a-t-elle plus affaire à un individu abstrait et anhistorique, elle ne se tourne plus en premier lieu vers son intériorité ; elle aborde l’esprit humain par ses actions et ses productions extérieures, ce qui implique de le considérer comme essentiellement social, mutable et historique : « Pour savoir ce que l’homme est, il faut voir ce que l’homme a fait. [20] » (p. 12)


Dans les deux derniers chapitres de son ouvrage, Meyerson aborde la question de l’historicité des fonctions psychologiques – je reviendrai plus bas sur les deux premiers, où sont abordées les questions du signe, du symbole et du langage. Il commence par noter que les progrès des autres sciences de l’homme obligent la psychologie à sortir de sa conception abstraite et sans histoire de la psyché humaine : « Les résultats du travail de la sociologie, de l’ethnologie, de l’histoire sous ses diverses formes obligent le psychologue à réviser son attitude à l’égard de ce qu’on peut appeler les catégories psychologiques. Il s’est occupé jusqu’à présent surtout de l’homme en général. À considérer les institutions et les œuvres, il voit, après l’historien, que les faits humains ont tous une date et un lieu. Les langues, les mythes, les religions, l’art, les sciences ont une histoire. » (p. 119) D’une manière assez proche de celle d’Elias critiquant l’aspect anhistorique de la théorie psychanalytique de l’appareil mental, Meyerson remet en question les présupposés fixistes sur lesquels est fondée la psychologie de son époque : « Cette position va contre le dogmatisme de la permanence : la croyance dans le caractère immuable des fonctions et des catégories de l’esprit. […] Le dogme de la fixité de leurs objets a marqué les débuts de toutes les sciences, jusques et y compris l’histoire elle-même. La transformation ne fait plus peur aujourd’hui à aucune. Il nous faut considérer les “objets” psychologiques sous leur aspect historique. » (p. 120-121)


Cette critique ne le mène pas cependant vers une conception historiciste de l’histoire de l’individu et du sujet. Rejetant clairement ce genre de point de vue, Meyerson fait remarquer, tout d’abord, que chaque fonction psychologique n’est jamais clairement découpée et qu’elle est entourée d’une zone d’indétermination non négligeable où elle a tendance à se chevaucher avec ses voisines : « Les fonctions psychologiques apparaissent comme mal circonscrites, mal délimitées ou séparées les unes des autres. Pour chacune, une sorte de noyau central, un certain nombre de propriétés fondamentales peuvent être précisées ; au-delà s’étend une zone où les déterminations précises deviennent difficiles. » (p. 191) Par ailleurs, chacune de ces fonctions est marquée par une instabilité et un inachèvement essentiels : « C’est dans l’esprit même que réside le principe de l’inachèvement. Les fonctions psychologiques […] sont elles-mêmes par essence soumises au changement, inachevées et inachevables […] Elles ne sont stables, fixes, délimitées, achevées qu’approximativement. » (p. 190) Enfin, au cours du temps, les fonctions psychologiques ne se rapprochent pas, même de manière asymptotique, d’« idées transcendantales » qui constitueraient en quelque sorte leurs modèles à jamais inaccessibles. Elles suivent des trajets radicalement aléatoires et pas toujours progressifs. Elles constituent des modalités, des aspects ou des manières toujours changeants : « Elles se modifient dans le temps, au cours de leur histoire, de façons diverses et telles que pour aucune on ne peut dire qu’elle tend vers une limite, vers une forme qu’on peut pressentir, une perfection qu’on entrevoit. Pour toutes, l’histoire montre non seulement des inflexions ou des oscillations, mais aussi quelquefois des inflexions imprévisibles et des changements dans ce qui paraissait le mieux formé. » (p. 191)


Tout cela interdit de les faire entrer dans une histoire linéaire qui prendrait un quelconque stade historique comme finalité : « Constater des formes ou catégories diverses dans la pensée que les diverses civilisations tiennent pour valables, ne permet pas d’établir sans plus une filiation entre ces aspects, encore moins une succession orientée. » (p. 123) Même la solution inverse proposée par Bergson, qui voit dans la poussée vitale la raison du déploiement de l’esprit, semble suspecte à Meyerson : « Même quand on ne croit pas à l’uniformité essentielle et à l’immutabilité de l’esprit, on a tendance à penser que tout ce jaillissement humain est l’effet d’un esprit continu, créateur des valeurs. La méthode objective historique apporte tout de suite ici une réserve. Il n’y a pas d’évolution créatrice de l’esprit. [21] »


L’histoire de l’esprit ou l’histoire de fonctions psychologiques est discontinue. Elle est composée de tentatives discrètes qui ne forment pas un continuum progressif ni du reste dégressif : « L’effort spirituel lui-même est discontinu, puisque les formes et les contenus de l’esprit n’existent réellement que dans les œuvres successives, et donc qu’il y a de l’une à l’autre un pas à franchir. Ce peut être une discontinuité faible, mais ce peut être également une transformation forte, une mutation. […] Il y a dans l’histoire de la pensée bien des recommencements, et quelques commencements, à côté de continuations. C’est une histoire rompue. » (p. 54) Et la morale que Meyerson, grand résistant, membre de l’état major des FFI, en tire est une morale de l’immanence et du présent : « Il n’y a pas de progrès inscrit dans son devenir. Rien ne lui est garanti. Tu gagneras ton pain spirituel à la sueur de ton front, jour après jour. » (p. 54)


On pourrait trouver cette doctrine contradictoire avec le terme d’« esprit » dont Meyerson fait un usage abondant. Mais ce terme ne signifie pas pour lui une capacité humaine unitaire telle que l’ont pensée les philosophes – qui « sont peut-être les derniers théologiens » [22]. En s’exprimant, l’esprit prolifère, au contraire, en « fonctions » diverses qui se développent chacune au gré d’une histoire à la fois singulière et collective : « Ainsi se précise l’objet de recherche auquel conduit l’analyse comparée des œuvres : non la connaissance de l’esprit unique, mais la connaissance des fonctions psychologiques telles qu’elles s’élaborent dans la diversité complexe et concrète de leur histoire. » (p. 195) L’esprit n’est donc finalement que la somme de ses réalisations successives ; il est totalement immanent à la sphère historique. Lors de la soutenance de sa thèse, Meyerson déclare : « Pas de table des catégories, ni de liste des fonctions (laquelle serait tirée de son propre esprit, dans ce cas, ce que précisément on veut éviter). C’est l’histoire seule qui décèle, non pas une liste des fonctions, mais des aspects des fonctions qui surgissent et se transforment. C’est en ce sens aussi qu’il y a l’esprit : il est la somme de ces transformations et non pas une forme préalable ou une forme future idéale. » (notes citées par Di Donato, p. 249)


Les mêmes remarques doivent être faites à propos de son usage des termes d’ « homme » ou d’ « humain » que Meyerson continue à utiliser tout en les historisant complètement : « Comme il n’y a pas d’“homme en soi”, mais seulement des faits humains particuliers que nous découvrons, non sans difficulté, à travers les œuvres humaines, et que ces œuvres humaines changent extraordinairement, il faut nécessairement admettre que l’homme lui-même change, que l’esprit humain, les fonctions psychologiques changent. Et ce de façons diverses selon la fonction et le moment. » (lettre à David Katz de février 1948 citée par Di Donato, p. 252)


Cette historisation radicale de l’homme, de l’esprit et des fonctions psychologiques expose Meyerson au reproche de relativisme que l’on oppose volontiers aux approches historistes les plus extrêmes. Mais la réponse de Meyerson à cette objection commune, que l’on a faite par la suite à Foucault sur les mêmes bases, est très intéressante. Il note que les différentes formes psychologiques ne constituent pas des monades totalement isolées les unes des autres, qui ne pourraient pas communiquer entre elles : « Dans la réalité, nous avons affaire à des différences partielles, souvent éclairées par des ressemblances. Une psychologie historique comparée est possible dans la même mesure où ont été possibles une linguistique historique et comparée, un mythologie comparée, une histoire comparée des religions. » (p. 122)


Comme Elias, Meyerson trace un chemin à égal distance des positions extrêmes qui s’affrontent sur les questions de l’histoire et de l’historicité. Toutefois la stratégie qu’il développe pour se tenir sur cette ligne de faite est assez originale et mérite pour cette raison qu’on s’y attarde un instant. Il n’essaie pas, à l’instar d’Elias, en tenant alternativement les deux positions, de construire un modèle évolutionniste global qui puisse rendre compte de l’ensemble des particularités qu’a fait apparaître l’étude historique. Pour lui, si les formes psychologiques sont à la fois en changement permanent et clairement distinctes les unes des autres, elles ne sont pas pour autant totalement incommensurables et impénétrables : comme le faisait déjà remarquer Dilthey, nous pouvons toujours les comprendre, au moins en partie, comme nous comprenons « les autres » ou comme nous comprenons « un livre » : « Il n’est pas tout à fait exact que nous ne puissions comprendre que ce qui est identique à nos formes habituelles de pensée. L’acte d’intellection suppose une certaine résistance, donc une certaine différence. Chaque fois que nous comprenons un fait nouveau, nous forçons un peu notre pensée ; elle se modifie d’ailleurs par là ; on pourrait dire à la limite : chaque fois que j’ai lu un livre, je suis autre. Il en est de même pour les sentiments, pour les contacts humains, pour la compréhension d’autrui. » (p. 121)


Autrement dit, il n’est pas besoin d’un modèle évolutionniste pour relier, en quelque sorte de l’extérieur, les diverses formes psychologiques les unes aux autres ; l’activité langagière, que tous les êtres humains partagent, suffit à établir cette communication par laquelle peuvent être établies les ressemblances et les différences entre les profils psychologiques. Une fois de plus, il retrouve sans le dire Humboldt pour qui les langues et les cultures qu’elles soutiennent sont certes des unités spécifiques mais pour qui également l’activité du langage commune à l’humanité rend la traduction et la comparaison entre elles possibles.


Ce point de vue langagier implicite sur l’histoire et sur l’historicité des êtres humains rend son approche plus respectueuse de la diversité et de la multiplicité interne des expériences d’individuation que celle d’Elias, qui garde quoi qu’il en ait un lien, même si c’est un fil de soie, avec les philosophies de l’histoire. Il explique l’idée d’une prolifération et d’une hybridation des fonctions que Meyerson oppose, dans la tradition historiste, à Durkheim et à ses disciples : « Pour Durkheim et pour les sociologues de stricte observance, [il s’agit d’une] explication de tous les faits psychologiques et logiques par un mécanisme unique et allant dans le même sens, le social modelant l’humain et l’ayant, pour l’essentiel, modelé dès l’origine. La situation apparaît différente pour le psychologue comparatiste. Il est soucieux avant tout de préciser les faits et leur signification et moins préoccupé de l’origine. […] Il se trouve en présence non tant du fait social que des faits sociaux. Il a affaire dans chaque cas concret à des hommes ayant une certaine forme mentale et à des groupes ayant une certaine structure sociale. Ni l’une, ni l’autre forme ne sont nées ex-nihilo, elles sont la suite d’autres formes sociales et d’autres formes mentales. Il y a eu des transformations et des interactions. Pour une analyse objective, ces effets des structures sociales et l’action de l’homme au sein de l’organisme social sont autant d’expériences que l’homme fait de son milieu humain et dans ce milieu humain, à côté des expériences qu’il fait sur son milieu matériel. » (p. 125)


Ce point de vue reliant spécificité et universalité par le biais du langage explique également le rejet par Meyerson du « comparatisme global » de Lévy-Bruhl auquel il reproche d’agglomérer des faits dans des blocs qui ne peuvent plus dès lors que s’opposer les uns aux autres : « La recherche a porté sur le fait global de la mentalité ; elle a abouti au résultat qu’on connaît : autre mentalité, hétérogénéité radicale. […] Ce n’est plus seulement un mode de pensée différent du nôtre, c’est l’autre mode de pensée, le revers : il y a une opposition de nature. » (p. 128) Le dualisme chrono-anthropologique compacte et fausse les faits historiques et sociaux : « La division en deux états nous déconcerte. Elle ne suffit pas à notre besoin d’histoire précise, à notre sentiment de variations par étapes multiples. Nous comprenons mal comment toutes les œuvres complexes si diverses que nous connaissons peuvent répondre à deux formes mentales seulement. D’autre part, nous avons le sentiment que l’étude de la mentalité de l’homme total aboutit à des généralisations qui risquent d’obscurcir et la diversité simultanée et les variations successives réelles. » (p. 134)


Plus loin, Meyerson cite avec éloge les critiques que fait Louis Gernet aux conceptions dualistes. Et cette référence nous intéresse tout particulièrement dans la mesure où son œuvre a eu, elle aussi, une très grande influence dans le développement d’une anthropologie historique de la Grèce ancienne : « Il y a chez l’historien comme une tendance invincible au dualisme : il admet d’une part des “réalités”, c’est tout ce qui lui apparaît comme matériel : à savoir, d’un terme collectif, les institutions, et d’autre part, une certaine psychologie, les représentations et sentiments d’une époque et d’un milieu. […] Sont-ce les institutions qui déterminent la pensée, ou la pensée qui commande les institutions ? Tour à tour et sans règle s’affirmera le primat de l’une ou des autres. […] Heureusement qu’en fait toutes ces questions sont bien vaines, parce que le dualisme qui les provoque est factice. » (p. 137, n. 2) [23] On s’étonne que Meyerson n’ait pas cité la suite qui allait pourtant tout à fait dans son sens : « Si la psychologie dont traite l’historien était vraiment conçue pour ce qu’elle est au fond, pour collective, elle n’apparaîtrait ni aussi extérieure aux institutions ni en définitive aussi mystérieuse : dans l’étude d’une société, elle serait l’objet essentiel. » (Ibid.)


On a vu, avec Dumont et tous ses disciples encore si nombreux aujourd’hui, que ce type de pensée par blocs opposés est malheureusement encore bien vivant. On voit ici un autre type de conception de l’histoire de l’individu et du sujet fondé sur une spécification des fonctions psychologiques qui n’oublie pas pour autant les totalités dans lesquelles elles fonctionnent. Meyerson cite à cet égard – et l’on peut souligner une fois de plus sa perspicacité – les remarques de Mauss sur le rythme et le symbole comme exemple d’équilibre entre les deux points de vue : « Que cette préoccupation de totalité soit elle-même légitime, nul ne le contestera, et on sera d’accord avec les remarques que fait M. Mauss dans son étude sur les rapports de la psychologie et de la sociologie : “Que nous étudiions des faits spéciaux ou des fait généraux, c’est toujours au fond à l’homme complet que nous avons affaire.” [24] Ainsi, rythmes et symboles mettent en jeu non pas seulement les facultés esthétiques ou imaginatives de l’homme, mais toute son âme et tout son corps à la fois […] Mais ce que demandait M. Mauss, dans cet appel aux psychologues, c’était une théorie des interactions et des rapports entre les fonctions, ajoutée à une analyse précise des fonctions. Lévy-Bruhl, plus préoccupé par la totalité, s’est moins intéressé aux fonctions elles-mêmes. » (p. 129)


Au total, Meyerson trace une logique historique bien différente de celle que l’on trouve chez Dumont et même chez Elias. Il existe, certes, des facteurs objectifs de continuité des formes psychologiques, comme « le désir ou la volonté des hommes et des groupes de maintenir ce qui a été construit ; le poids, l’effet de masse du construit ; le souci de transmettre, plus spécialement certains faits considérés comme importants. À ces raisons de simple permanence, s’ajoute la prescription de tâches nouvelles, l’appel à progresser de certains contenus : les sciences, les disciplines de l’action. » (p. 145) L’esprit scientifique lui-même a une tendance naturelle à chercher des liens et des orientations : « Nous pouvons difficilement nous représenter une succession entièrement discontinue, des commencements absolus, le “tout neuf”. » (p. 145) Mais la prolifération des formes, leur inachèvement essentiel et leurs discontinuités dominent malgré tout l’histoire psychologique : « Mais il n’en résulte pas pour autant que la succession doive toujours être simple, linéaire, polarisée. Il y a des mutations, des ruptures, des tournants brusques, des déviations et des retours. L’histoire de la notion de personne, celles des diverses formes de sentiments montrent bien le caractère irrégulier de cette marche. » (p. 145)


Finalement, Meyerson débouche sur une conception de l’histoire et de l’historicité qui n’est pas très différente de celle qui animait déjà Dilthey et Groethuysen lorsqu’ils soulignaient le fait que la vie s’objective dans des interprétations successives dont elle a besoin pour perdurer tout en leur échappant sans cesse [25]. L’esprit humain trace ses chemins proliférants au gré d’une dialectique non-hégélienne qui rend possible et oppose en permanence l’achèvement des œuvres et l’inachèvement des fonctions, son objectivation et sa subjectivation incessantes : « En face de l’inachevé des fonctions, les achèvements des œuvres. Elles représentent ce qui est clair, ce qui peut être précisé. L’esprit se détermine successivement dans ses créations, s’arrête dans chacune, chacune correspond à un aspect et à un palier de son histoire. Ce sont des options, des décisions, et des incarnations. Ces œuvres et ces formes fixes, l’homme les a toujours désirées, il en a souhaité la conservation. » (p. 193)


Et comme avant lui Groethuysen, il aboutit à l’idée que le pôle subjectif de cette dialectique relève certes des corps-langages singuliers où il émerge mais aussi, et peut-être surtout, des œuvres, c’est-à-dire des langages-corps collectifs que ceux-ci ont produits. Meyerson repère ainsi une véritable transsubjectivité des œuvres, qui font passer dans les êtres humains leurs puissances subjectivantes vagabondes. Ce qui lui permet, dans des lignes très en avance sur son époque, d’esquisser les contours d’une véritable « poétique du social » : « Cette diversité n’est pas seulement témoin, elle est aussi agent. En chaque œuvre, il y a des prolongements, des virtualités à exploiter, des découvertes à faire. Chacune a une valeur exemplaire. Et d’autre part, chacune est partielle et un peu partiale ; d’où oscillation ultérieure des fonctions qui auront été engagées dans ces œuvres. De même que la pensée scientifique, la raison se font et s’orientent par l’expérience et la science, de même les sentiments, la personne, la volonté se font et s’orientent par les œuvres, les institutions et les actes. » (p. 193) Plus loin : « Les œuvres sont d’abord un témoignage. Elles fixent, résument et conservent ce que les hommes d’un temps ont réussi à faire et à exprimer. […] Elles agissent : la pensée neuve de quelques-uns devient une pensée nouvelle du grand nombre. » (p. 195)


La force des œuvres – en particulier des œuvres d’art mais pas seulement car la créativité pour Meyerson comme pour Tarde est susceptible de marquer la plus petite action – est telle qu’elle peut transformer des fonctions psychologiques de base comme la sensibilité ou la force imaginative : « Lorsqu’une génération trouve beau et “normal” tel genre et tel style de peinture qui a étonné ou choqué la précédente, lorsqu’aujourd’hui des enfants apprécient d’emblée Braque ou Picasso, ne peut-on pas dire que sous l’action des œuvres, à une époque où l’œuvre se répand et se vulgarise, la perception s’est légèrement modifiée ? » (p. 194) [26]

 Principes méthodologiques d’une histoire de la personne

Meyerson termine son ouvrage par une histoire de « la notion de personne » dont il reprendra en 1960 les principaux termes lors d’un fameux colloque consacré à ce thème [27].


De l’un à l’autre de ces textes, les principes méthodologiques sont les mêmes et parfois exprimés dans des termes quasi semblables, c’est pourquoi je parts ici du plus récent ; je reviendrai au plus ancien en cas de divergences notables. Meyerson insiste sur la nécessité de considérer la personne non plus à la manière de la psychologie traditionnelle, toujours imprégnée d’aristotélisme et de kantisme, comme une « catégorie » de l’esprit, mais comme une « fonction » psychologique variable socialement et historiquement : « La personne, en effet, n’est pas un état simple et un, un fait primitif, une donnée immédiate : elle est médiate, construite, complexe. Elle n’est pas une catégorie immuable, co-éternelle à l’homme : elle est une fonction qui s’est diversement élaborée à travers l’histoire et qui constitue à s’élaborer sous nos yeux. » (p. 8)


Au lieu de l’aborder par une connaissance introspective – qu’elle soit directement tirée de la personne contemporaine ou reconstituée par réexpérience du passé, comme le prônait une partie de l’école historiste allemande du XIXe siècle –, il suggère de l’étudier à travers tout ce qu’elle a produit, c’est-à-dire ses « œuvres » : « Il n’est pas de connaissance immédiate de la personne. […] L’“expérience pure” du moi est pauvre, inconsistante et décevante. La personne n’est saisissable que par ce qu’elle produit : ses actes et ses œuvres. » (p. 9) Il s’agit en quelque sorte de saisir l’intérieur à partir de l’extérieur, ou, plus exactement, l’intérieur qui se trouve dispersé dans l’extérieur : « L’homme a fabriqué ses fonctions psychologiques en fabriquant ; il s’est exprimé dans ses œuvres et ses œuvres ont agi sur lui. » (p. 9)


Or, cette méthode implique d’accepter l’idée que la personne se réalise à travers des milieux très hétérogènes, sans liens nécessaires les uns avec les autres et changeant d’une époque à l’autre. La personne, que l’on considère trop vite comme une unité intégrée et stable se caractérise en fait par une certaine dispersion et une certaine plasticité : « [L’homme] a édifié la personne diversement par des œuvres diverses, et ce ne sont pas les mêmes qui ont été les plus efficaces et les plus significatives à différentes époques. » (p. 9) Par ailleurs, la personne d’aujourd’hui est composée d’éléments d’âges et d’origines différents – et il en a toujours été de même dans le passé : « Cette énumération, incomplète, montre assez la multiplicité et la complexité du moi. L’unité de la personne n’est jamais entière, n’est jamais initiale ; là où elle existe, elle est un résultat d’efforts. Et l’histoire de ses différents contenus est diverse, ils n’ont pas tous le même âge et leurs aspects ont beaucoup varié. » (p. 8)


Cette méthode implique donc de remplacer les idées de naissance absolue et de construction linéaire propre à la pensée historiciste, qui grevait du reste encore en partie la conférence de Mauss à ce sujet [28], par une attention à la multiplicité des séries de faits concernés et à l’enchevêtrement souvent discordant de leurs tempi : « Nos datations ne sont pas toujours précises ni univoques. Les faits dont nous nous occupons [...] se situent souvent sur plusieurs plans : l’effort humain dans les œuvres a une sorte de polyphonie temporelle, avec des séries de changements rapides des événements et des séries à changements lents ou quasi insensibles. » (p. 474)


On sait ce que Meyerson aurait pensé de la pseudo-histoire de l’individu élaborée par Dumont mais il y a fort à parier qu’il aurait aussi été assez critique, s’il l’avait connue, vis-à-vis de l’historicisation du système psychique proposée par Elias, qu’il aurait certainement jugée encore bien insuffisante. Pour lui, la personne telle que nous la connaissons aujourd’hui s’est constituée par l’agglomération d’aspects disparates. Elle ne forme donc pas un système comme le dit Elias ; comme toute fonction psychologique, elle est à géométrie variable et dans un état d’inachèvement permanent : « Ne faut-il pas penser, comme le dit M. Mauss, qu’aujourd’hui encore, en même temps que délicate et précieuse, elle est flottante, et demande à être élaborée davantage ? [29] »


En même temps, Meyerson ménage la possibilité d’une connaissance historique comparative. Il existe un certain nombre d’invariants formels dont les transformations dessinent les faciès successifs de la personne. Meyerson en a donné successivement deux listes qui ne se recoupent qu’en partie. Voici celle des Fonctions psychologiques – je souligne en italiques les différentes entrées pour permettre une lecture plus facile : « Le moi a beaucoup de provinces, un vaste domaine dont les limites changent. Il y a le corps  ; l’activité motrice dans toute la diversité de son jeu ; la sensibilité ; les limites du corps, les sentiments que j’en ai ; et aussi l’idée de ce qu’on a appelé l’image du corps ; enfin, les appréciations corporelles, les nôtres, celle des autres. Dès le physique, la complexité apparaît : il est difficile de dire ce que serait le sentiment de notre corps si tout cet appareil de sentiments, d’idées, de valeurs, de reflets sociaux ne faisait pas partie de sa structure. Mais le social va apparaître dans la personne sous d’autres aspects plus prégnants. Le moi, c’est le nom, l’état civil, ce sont les diffèrent droit, droit au mariage, à la famille, droits civils, droits politiques ; ce sont la fonction et la profession, et les responsabilités résultant de la fonction ; c’est aussi le costume. En même temps que le social profane, le religieux  : le religieux social et le religieux individuel, la participation à une communauté, à une Église, la pratique commune du culte, et d’autre part la participation personnelle au divin et tout ce qu’elle peut apporter dans le domaine de la vie intérieure. À côté du social institutionnel, les contacts interindividuels, toute la gamme des interactions, tout ce que Tarde, et Dumas après lui, ont appelé faits d’interpsychologie. La psychopathologie a montré la place considérable que tiennent, dans le devenir de la personne, par exemple la persuasion et la suggestion. Mais à qui veut la regarder, l’expérience quotidienne montre tous ces mécanismes d’interaction. Je me fais, je suis par ceux que j’aime, je suis un peu ceux qui m’apprennent quelque chose, je suis un peu par ceux qui pensent à moi. Avec les actes et les œuvres, nous sommes dans la partie la plus significative, la plus dense de la personne. » (p. 153-154)


Faut-il voir dans cette liste le signe d’une contradiction ou d’une limite de la stratégie d’historisation complète de la personne ? Je ne le crois pas.


Tout d’abord, Meyerson rappelle souvent que ces invariants formels concernent l’état actuel de la personne, que cette liste est de toute façon incomplète et que chacune de ses entrées a pu connaître une interprétation très variable selon les groupes et les époques.


Ensuite, Meyerson présente cette liste comme si on pouvait la lire à partir de n’importe laquelle de ses entrées, mais on voit bien qu’elle n’est pas construite au hasard. Il va du « corps » aux « actes et aux œuvres » ; les aspects « sociaux » au sens holiste, religieux et interactionnel ne sont que des intermédiaires dans ce trajet théorique. Or, si le corps est aussi « le sentiment que j’en ai », il implique en premier lieu « l’activité motrice ». Autrement dit, cette liste des principaux invariants formels de la personne est elle-même fondée sur un point de vue radicalement pragmatique et dynamique qui va de « l’activité » à « l’œuvre » en passant par « l’acte » et « l’action ».


Enfin, cette liste donne à la question du devenir agent une place extrêmement rare dans les sciences humaines et sociales, place qui suffit à la sauver du relativisme historiste sans avoir recours à la solution évolutionniste, fût-elle pluraliste comme chez Elias. Si Meyerson dit peu de choses sur la subjectivité que fait apparaître l’activité corporelle, il consacre trois pages à l’analyse des actes et des œuvres vus comme des lieux privilégiés du devenir agent – ce qui représente trois fois l’espace consacré au reste de la liste.


Pour Meyerson, la différence entre acte et œuvre renvoie à celle du singulier et du collectif. L’acte est toujours accompli par un corps-langage singulier, mais une série d’actes peut éventuellement se transformer en action puis en œuvre, c’est-à-dire acquérir à la fois une certaine pérennité, une certaine autonomie par rapport à son auteur et une certaine puissance vis-à-vis des autres singuliers, autrement dit une existence et un usage collectifs. Toutefois, dans les deux cas, il s’agit bien d’un devenir agent. Dans le premier, le devenir agent de sa propre vie, qui est toujours pour Meyerson, à travers sa fragmentation même, une « construction » : « Chaque acte est un fragment, et tantôt je m’y veux tout entier, tantôt je ne m’y sens pas ; de même pour les motifs ; de même aussi pour les actes des autres, – sauf que je me donne plus de complexité que je n’en donne aux autres. Pour le biographe, je suis la somme et la suite de tous mes actes et de leurs motifs. Pour moi-même, j’ai pu m’oublier plus ou moins après chacun ; leur enchaînement n’est pas un donné ; créé ou accepté, il est une construction. » (p. 154) Dans le second, le devenir agent de notre vie collective, et cela quel que soit l’importance de l’œuvre en question et des cercles que son influence pourra éventuellement atteindre : « Nous avons pris l’œuvre d’art comme exemple et modèle de l’œuvre, parce que c’est dans l’art que s’exprime peut-être le plus à la fois l’humain, l’humain dans sa totalité, et le nouveau. Mais toutes les classes d’œuvres portent la marque de ce besoin constant qu’a l’homme d’exprimer sa vision du monde et sa vision de l’homme. La mission du philosophe dont parle Bergson, l’effort difficile d’exprimer l’essentiel, n’est pas propre au philosophe ni à l’artiste ; l’expression est seulement plus éparpillée ailleurs. » (p. 154-155)


La liste des invariants formels que Meyerson donne, douze ans plus tard, dans le colloque sur la notion de personne est assez différente – j’en souligne de nouveau les entrées principales : « Le moi, pour l’homme de notre temps, a beaucoup de provinces, aux limites inconstantes. Il est l’être spirituel, la vie intérieure et la conscience de cette vie, l’appréhension de soi ; le sentiment de la continuité du moi, avec ses prolongements : durée, mémoire et imagination personnelles, rétrospection et prospection, regrets et projets, responsabilité du moi passé, fidélité et infidélité à soi et aux autres. Il est le sentiment d’être source d’action et centres d’actes divers mais parents tous par quelque côté, d’être en même temps intérieur à chaque acte particulier, doublement responsable : comme agent, comme agent spirituel et moral ; quelquefois d’avoir accompli des actions qui ont laissé des traces, d’avoir produit une œuvre. Il est le fait d’être un individu dans des groupes sociaux multiples, serrés ou lâches, participant plus ou moins de tous, soutenu peu ou prou par tous, cependant distinct, resté soi ; le fait d’avoir un nom, un état civil, un statut social et professionnel. Il est aujourd’hui plus qu’avant, le sentiment et la notion d’être qualitativement différent des autres, singulier, original. Il est enfin le corps, support de ces faits mentaux et moraux, le sentiment de la pensée de ce corps, de ses équilibres biologiques, de son aspect extérieur, de ses possibilités, la place donnée à ce corps dans la personne. [30] »


Comme la précédente, cette liste comporte cinq entrées principales, mais ces entrées ne sont pas disposées de la même manière et ne sont pas non plus tout à fait équivalentes. Alors que Meyerson allait du corps comme source d’action aux actions et aux œuvres en passant par le social sous ses différentes formes, son trajet le mène cette fois d’un ensemble de faits psychiques, « l’être spirituel, la vie intérieure et la conscience de cette vie, l’appréhension de soi ; le sentiment de la continuité du moi » vers une valeur, « le sentiment et la notion d’être qualitativement différent des autres, singulier, original », en passant par deux entrées qui sont soit psychique et morale comme « le sentiment d’être source d’action et centres d’actes […] l’agent, comme agent spirituel et moral », soit sociologique et morale comme « l’individu dans des groupes sociaux multiples, serrés ou lâches, participant plus ou moins de tous ». Le « corps » arrive en dernière position mais il est en fait présupposé dans toute la série car il est le « support de ces faits mentaux et moraux ». Autrement dit, la personne, quelle que soit sa forme historique, est toujours fondée sur le corps, qui en constitue la base la plus universelle, mais ses aspects non corporels ne sont plus présentés selon le trajet de l’extériorisation de l’esprit dans les œuvres, mais suivant une gradation fonctionnelle et synchronique qui va du psychique pur au moral pur, en passant par deux intermédiaires mixtes de valeurs opposées : l’un est agent spirituel et moral, l’autre participe plus ou moins des groupes sociaux.


Cette nouvelle nomenclature a l’avantage de rompre avec ce qui restait de vitalisme dans la première version. L’organisation des instances de la personne n’est plus fondée sur une jaculation de l’esprit, un jaillissement bien difficile à justifier de manière non métaphysique. Elle se présente comme la description synoptique totalement symétrique d’une instance corporelle, surmontée par quatre instances psychique, éthique, politique et morale : le moi, l’agent, l’individu, le singulier. Il faut probablement voir dans cette transformation un effet des préoccupations structurales qui dominent l’époque, mais aussi d’une volonté de donner à sa théorie à la fois une organisation et une assise encore plus solides.

 « Aspects d’histoire » d’une « fonction psychologique » : la personne

L’histoire que Meyerson esquisse dans l’un et l’autre texte est une mise en pratique très prudente de ces prémisses théoriques. Soulignant la nature à la fois incomplète et modale de nos connaissances, il intitule d’une manière à la fois antihistoriciste et antipositiviste, la section qui lui est consacrée : « Aspects d’histoire de la notion ». Je vais tenter d’en présenter maintenant les éléments principaux en suivant sa deuxième nomenclature. On verra en quoi cette nomenclature correspond exactement à l’ensemble des faits récoltés et organisés dans sa thèse.


Après avoir présenté et rejeté les thèses évolutionnistes de Murphy [31], Meyerson fait débuter ses analyses par un rappel de la thèse de Mauss : « C’est par l’aspect personnage que l’homme a accédé à la notion de personne. Dans un très grand nombre de sociétés anciennes, et jusque dans les formes anciennes des sociétés de grande civilisation, l’individu joue essentiellement un rôle  : dans la vie familiale, dans la vie du clan, dans le drame rituel sacré, dans les fêtes des confréries. Il a une place assignée dans le présent et par rapport aux générations passées, et il joue en quelque sorte cette place. » (p. 158) [32]


La personne archaïque se présente en premier lieu comme un « rôle social » identifié par un ou plusieurs noms, un masque, des droits, des propriétés et même des danses. Elle est, dans les termes de la seconde nomenclature, avant tout un « individu participant à des groupes sociaux ».


Contrairement au stéréotype évolutionniste généralisé au XIXe siècle mais que l’on retrouve, on l’a vu, encore chez Dumont et chez nombre de nos contemporains, cet individu n’est pas totalement absorbé par son groupe : « Il y a là un début de la notion de l’individu, “confondu dans son clan, mais détaché déjà de lui dans le cérémonial par le masque, par son titre, son rang, son rôle, sa propriété, sa survivance et sa réapparition sur terre dans un de ses descendants dotés des mêmes places, prénoms, titres, droits et fonctions.” » (p. 159, citation de Mauss – p. 267)


Une telle caractérisation, à laquelle les commentateurs de Mauss s’arrêtent le plus souvent, est d’ailleurs encore insuffisante. Mauss ne dit rien de la manière dont est vécu le moi psychique, mais on peut légitimement penser qu’il ne possède pas la continuité ni la consistance que nous lui attribuons.


La question de l’agent est mieux traitée. Ces individus, en tout cas ceux qui portent des noms importants, assument une certaine responsabilité, essentiellement collective : « La perpétuité des “âmes” est déterminée par la perpétuité des noms. Les noms, répartis entre les familles, les clans, les “sociétés secrètes”, appartient au groupe. L’individu agit ès qualités et est responsable de tout le clan. » (p. 160) Ils sont également des agents qui engagent des actions, que ce soit vis-à-vis des autres membres de la société : « Comme les biens, les droits, les choses, le nom et les autres attributs de l’individu dans le clan, ce qui constitue sa “personne” à ce niveau, peuvent s’acquérir ; par exemple par le meurtre ; on peut s’emparer ainsi et des droits personnels et de l’“esprit individuel” » (p. 160) Ou vis-à-vis des ancêtres et des dieux : « La survivance [des membres du clan et de leurs ancêtres] est assurée par de nombreuses cérémonies. Pour l’officiant, ces cérémonies sont une épreuve qui révélera une force et un pouvoir surhumains venant de l’ancêtre ou du dieu. » (p. 160)


Enfin, la singularité de ces personnages, sans être inexistante, est limitée non seulement par le fait que l’individu est très engagé dans le groupe mais aussi parce qu’il « figure l’ancêtre qui ainsi revit dans le corps du descendant portant son nom » (p. 159).


Ce premier exemple est en lui-même très intéressant car il montre que, pour Meyerson, non seulement il n’a jamais existé de peuple dénué de toute notion de personne, mais aussi que des sous-notions comme le moi, l’agent, l’individu et la singularité ont également toujours et partout existé, même si c’était selon des modalités à chaque fois bien différentes de celles d’aujourd’hui. La question, pour lui, n’est donc pas de comprendre comment l’individu a surgi de sociétés où il était soi-disant inconnu, ni même comment un contrôle inconscient de plus en plus rigoureux a pu être imposé à un individu qui aurait été à la fois intérieurement moins intégré et socialement plus libre. Elias fait mieux que Dumont mais le nombre de dimensions de son analyse reste encore insuffisant : il tient compte du corps, du moi et de l’individu, mais il dit peu de choses concernant la singularité et ignore totalement le sujet. Il a aussi tendance à linéariser une histoire faite de tentatives hétérogènes. La question, pour Meyerson, est de décrire les multiples équilibres qui ont pu s’établir entre les différentes modalités des grands invariants de la personne.


Le deuxième ensemble historique analysé par Meyerson est celui de la Chine ancienne, qu’il aborde à travers les travaux de Granet, en particulier La Pensée chinoise.


Dans ce monde, c’est encore une fois l’individu engagé dans son groupe qui est mis en avant : « Dans la Chine féodale classique, l’individu apparaît comme fortement lié à l’ordre social. Son nom, la forme de sa vie son fixés par l’ordre des naissances, le rang, le jeu des classes sociales. Son “individualité”, c’est surtout son nom, et son nom, un ancêtre l’a porté, un descendant en héritera. » (p. 160) Ce type de personne ressemble encore dans ses grandes lignes au personnage archaïque. Toutefois, un certain nombre de traits le distinguent déjà assez fortement de ce dernier.


Ces traits concernent, tout d’abord, la singularité. Celle-ci n’est plus seulement liée au retour d’une âme, mais elle est réputée posséder un site particulier dans le cosmos, ainsi qu’un rapport unique aux éléments fondamentaux de la nature : « Le nom est cependant secret ; il faut s’informer pour le connaître. Il représente une espèce ou une essence, et il a son équivalent dans un site ou un secteur de l’espace-temps. Tout individu possède un lot de vie, une aptitude à être : sing. Ce terme, qui, semble-t-il, se rapproche le plus de ce que nous pourrions appeler la personne, désigne à la fois l’ensemble des dons qui constituent la valeur d’être, et une proportion, un dosage d’éléments. Il a une valeur normative : il faut rechercher une bonne proportion d’éléments, l’équilibre. » (p. 161)


Ce souci de la singularité se double d’une diminution de l’engagement de l’individu dans son groupe et un souci plus grand pour son caractère d’agent : « [Pour le taoïsme] la société présente est, non un milieu naturel de la vie humaine, mais un système fallacieux de contraintes. La voie du savoir réside dans la méditation solitaire […] On perd son sing si on s’attache aux coutumes ; on détruit son “soi” si on s’attache aux autres êtres. Le “soi” ne doit pas se laisser contaminer par l’autrui. Il faut se réfugier dans son essence spécifique propre, car c’est là se réfugier dans la nature. L’homme véritable est celui qui, fuyant ses semblables, n’a pas de semblable. L’idéal prescrit par la méditation taoïste est l’autonomie. » (p. 161)


Le troisième exemple étudié par Meyerson concerne le monde gréco-romain. Il reprend, pour ce faire, l’étude de Schlossmann sur les mots persona et πρόσωπον, à laquelle Mauss faisait déjà allusion dans sa conférence sur la personne mais sans donner beaucoup de détails [33].


Schlossmann remarque, tout d’abord, que « le droit romain ne fait pas état de la notion de personnalité juridique et que même le mot persona [ou son équivalent grec πρόσωπον] n’est pas habituel chez les juristes classiques » (p. 162) On ne trouve un usage technique précis de ce mot, en tout et pour tout, que dans cinq textes très courts du corpus théodosien (439), de Cassiodore (485 - vers 580) et de Théophile (VIe siècle), textes qui concernent tous les esclaves et que l’on interprète traditionnellement comme la preuve qu’aux yeux des Anciens ceux-ci n’auraient pas possédé de personnalité juridique.


Or, l’histoire sémantique de ces deux termes montre que cette interprétation est fausse – ce qui, par contrecoup, jette une lumière nouvelle sur ces notions dans le monde gréco-romain. Dans les occurrences les plus anciennes que nous connaissions, comme la traduction latine des Perses, le mot persona signifie masque, ce qui établit, là encore, une continuité avec la notion archaïque décrite par Mauss. Toutefois, à partir du IIe siècle avant notre ère, les choses changent rapidement. Chez Térence (190-159), le mot prend le sens de « personnage de comédie », de « type ». Un siècle plus tard, chez Cicéron (106-43), il signifie également « rôle », dans le sens de « jouer un certain rôle ». Personam gerere est désormais utilisé pour dire « remplir une fonction dans la vie » et de là pour « remplacer une autre personne », c’est-à-dire « la remplacer dans son rôle ». Finalement, au cours du Ier siècle avant notre ère, le sens ancien de persona s’efface au profit d’un sens plus vague et général, et le terme finit par signifier « à peu près : homme » (p. 164).


En grec, le sens le plus ancien du mot πρόσωπον, celui qu’on trouve chez Homère, est « visage », avec l’idée complémentaire « ce qui reflète ». Le premier sens dérivé est « masque ». Mais d’autres sens dérivés apparaissent bientôt : « rôle », « personnage » et aussi « face antérieure », « front d’une armée », « apparition », « image », enfin, « homme, personne en général » dans un sens vague. « En somme, conclut Meyerson après Schlossmann, développement assez analogue à celui du latin […] mais développement plus lent. L’usage du mot dans le sens général de “personne” est plus rare qu’en latin. On le trouve employé avec cette acception pour la première fois chez Polybe […] Il ne prend les mêmes emplois que persona dans les textes de lois écrits en grec et dans la littérature byzantine qu’à partir du VIe siècle. » (p. 164-65)


Ainsi les textes juridiques tardifs, où l’on trouve les premiers véritables usages juridiques précis du terme persona, « ne signifient pas que le droit romain a formulé la notion de “personnalité juridique”. Ils ne disent pas que l’esclave n’a pas de “personne”. Ils déclarent seulement que l’esclave n’a pas d’ “existence” pour la loi, παρὰ τοἶς νόμοις. » (p. 166) Or, cette première conclusion mène nécessairement à une seconde : « Les Romains n’ont ni élaboré la notion de “personne juridique”, ni conçu clairement la notion de personne psychologique telle qu’elle se présente à nous. » (p. 166)


C’est en fait dans un tout autre contexte culturel que se produisent de nouvelles transformations qui auront par la suite des conséquences très importantes : chez les écrivains chrétiens mobilisés par les discussions trinitaires et christologiques concernant, d’une part, l’unité des trois personnes divines, de l’autre, celle de la nature à la fois humaine et divine du Christ. Le mot employé dans ces discussions est d’abord ὑπόστασις, avec son dérivé ἀνυπόστανος. Ce mot désigne l’« essence », terme déjà employé dans la philosophie grecque, puis le « substrat ». Mais comme πρόσωπον est souvent assimilé à ὑπόστασις, il prend ainsi à son tour le sens d’« essence » et de « substrat ». Finalement, les deux mots prennent tous les deux le sens d’« existence » et de « réalité ». La persona/πρόσωπον, qui ne désignait que l’homme en général, vient de se charger d’un contenu ontologique.


Cette section de l’histoire meyersonienne de la personne est donc d’une très grande précision et elle constitue un jalon déterminant dans la reconstitution d’un de ses faciès anciens. Mais elle possède aussi, on le voit, quelques limites. Non seulement, la moitié de l’étude est destinée à montrer une absence : celle de la personne juridique, ce qui sans être inutile dit peu du ou des faciès de la personne à l’époque, mais elle ne dit rien de l’individu engagé dans son groupe, ni de l’agent, et l’on a du mal de ce fait à établir une continuité avec les deux études précédentes. D’un point de vue positif, cette section apporte essentiellement des informations sur la redéfinition par le christianisme pendant l’antiquité tardive de l’être psychique et la valorisation de la singularité qui en a découlé. Meyerson conclut : « À la suite des discussions trinitaires, le sens de πρόσωπον et avec lui celui de persona a changé. De “masque” et de “rôle”, il est passé à “existence” et même, pour le théologien, à “existence” dans le sens fort. En effet, l’emploi du mot appliqué à Dieu, au Christ, aux anges, en même temps qu’à l’homme, a eu pour conséquence un effort de définition du concept nouveau. Tant par intérêt spéculatif que pour réfuter l’accusation d’anthropomorphisme, des écrivains d’Église ont voulu préciser son contenu. Ils ont trouvé comme caractères communs de tous les êtres désignés comme personae : 1° qu’ils sont doués de raison, 2° que chacun est indépendant, égal seulement à lui-même, qu’il est un “individuum”. » (p. 166)


Dans la quatrième section de son étude, Meyerson aborde à travers quelques publications spécialisées, en particulier les travaux de Gernet, un ensemble de faits concernant l’histoire religieuse grecque, histoire parallèle à celle qu’il vient de retracer à partir du droit romain et de la théologie chrétienne.


Le premier ensemble est constitué par certaines formes dionysiaques de culte et de croyance. Contrairement à ce qu’il a fait pour le christianisme tardo-antique, il aborde cette fois la personne à travers une transformation de l’individu engagé dans son groupe et de l’agent : « À première vue, la religion dionysiaque n’est pas une religion de la personne : elle plonge l’individu dans la nature, elle le fait communier avec la vie animale et végétale ; elle fait tomber les barrières du moi. En réalité, par sa forme sociale déjà, elle apporte des éléments d’individualité. Le thiase, unité religieuse élémentaire dans le culte orgiastique, se constitue, comme le remarque M. Gernet, en dehors des cadres du moment : l’adhésion individuelle a remplacé la parenté ou l’inféodation. Un esprit de démocratie et de liberté pénètre cette religion, qui admet la participation des esclaves, et dont le dieu se nomme Isodaïtès, qui fait parts égales. » (p. 167) Une fois posé ce cadre éthique et politique, Meyerson aborde, malheureusement un peu rapidement, la question psychique. Le moi religieux qui est construit dans ces cultes possède une certaine consistance qu’il n’avait pas auparavant : « Dans leur forme primitive, les rites orgiastiques avaient rapport à la vie de la terre, à la croissance des espèces. Cet objet passe au second plan : c’est à la personne même du fidèle que le service divin doit apporter ses bienfaits. » (p. 168)


Cette construction religieuse nouvelle de la personne, simultanément comme individu engagé dans son groupe, comme agent et comme moi, se poursuit à travers les cultes à Mystères : « Dans les cérémonies de mystères, l’initié entre dans un monde nouveau qui est un monde spirituel, et un lien personnel s’établit entre lui et la divinité : l’absorption du kykéon est une consécration individuelle. Le rite entier a pour objet la régénération individuelle ; les initiés sont des élus. » (p. 168) De même, dans l’orphisme : « La vieille superstition et la nouvelle foi sont toutes deux résumées par ce petit texte orphique : “Nombreux sont les porteurs de narthex, rares sont les bacchants” […] Déjà, les adorateurs de Dionysos se croyaient possédés du dieu. Il n’y avait qu’un pas de plus à faire pour qu’ils soient convaincus qu’ils étaient réellement identifiés avec lui, que réellement ils devenaient lui. » (p. 168) [34]


Dans ces nouvelles formes religieuses, les pratiques changent : les initiés ne cherchent plus à obtenir l’état divin par l’intoxication physique mais par un effort de pureté et par l’extase spirituelle. Par ailleurs, s’ils participent à des confréries, ils doivent y parvenir seuls, par leurs propres efforts, sans intercesseur. De même les croyances connaissent une transformation notable : c’est l’accession au divin et non plus l’immortalité personnelle qui devient l’objet principal de la spéculation religieuse ; l’immortalité n’est plus qu’une conséquence accessoire de l’état divin ; l’âme est un être subsistant apparenté au divin, dont la destinée se termine par un jugement des âmes et la notion d’une responsabilité individuelle au-delà de cette vie.


La conclusion de Meyerson, qui rassemble tout ce mouvement sous le terme d’individualisme – malgré tout entre guillemets –, manque un peu de précision, il faut bien l’avouer. Mais l’essentiel y est, que ce soit dans les pratiques ou dans les croyances : ce sont essentiellement l’individu et le moi, secondairement l’agent, qui sont redéfinis de manière nouvelle : « Ainsi se trouvait édifiée une conception de l’identité de l’âme qui renforçait ce que la forme de confréries d’une part et l’effort personnel de purification d’autre part avaient apporté d’éléments d’“individualisme”. Une religiosité interne, intime, tendait à se créer, qui était de nature à donner plus de profondeur la conception de l’existence humaine. » (p. 169)


Le dernier ensemble de pratiques et de croyances étudiés par Meyerson concerne les nouvelles religions orientales, qui par vagues successives ont submergé et désagrégé l’ancien paganisme romain – il se réfère ici entre autres aux études de Franz Cumont. De cette synthèse admirable de densité et de précision, il n’y a rien à retirer. Je la cite dans son entièreté.


« La vague phrygienne est venue d’abord, avec sa dévotion sensuelle, colorée et fanatique : les dévots du culte de Cybèle et d’Attis étaient sûrs de renaître après leur mort à une vie nouvelle. Le courant égyptien s’est répandu ensuite : il apportait son rituel séduisant, son culte abondant, le service quotidien, et surtout la promesse d’immortalité par l’assimilation à Osiris ou Sérapis. Par l’initiation, le myste renaissait à une vie surhumaine, devenant l’égal des immortels ; dans l’extase il franchissait le seuil de la mort, contemplait face à face les dieux du ciel et de l’enfer. Ce que l’orphisme avait entrevu à moitié était maintenant prêché avec précision et fermeté. Puis est venue la vague syriaque, chargée de science astrologique, mais aussi d’une foi vivace et passionnée, apportant la théologie d’un dieu éternel et universel, protecteur de tous les hommes, appelant les hommes à un effort de pureté et de sainteté ; selon son eschatologie, liée étroitement à l’astrologie chaldéenne, l’âme de l’homme après la mort remontait au ciel pour y vivre au milieu des étoiles divines, elle participait à l’éternité des dieux sidéraux auxquels elle était égalée. Enfin est survenue la vague persique : les mystères de Mithra, qui adoraient comme cause suprême le temps infini, identifié avec le ciel, et apportaient par leur dualisme, une solution au problème du mal, écueil des théologies. Le mithriacisme, plus que les autres religions orientales, a agi par sa forme morale. Il prêchait la fraternité, la pureté, la rigueur, l’austérité, la véracité, la fidélité au contrat, la continence et surtout l’énergie virile. Les initiés, qui prenaient le nom de soldats, devaient combattre sans repos le mal dans le monde, le mal dans leur cœur. Mais après leur mort les âmes des justes, accueillies dans la lumière infinie, devenaient les compagnes des dieux. » (p. 170-71)


Ces religions, par leurs pratiques aussi bien que par leurs croyances, apportent toute une série de nouveaux éléments psychologiques. Tout d’abord, elles tendent à désengager en partie les individus de leur société tout en les engageant plus fortement dans leur groupe d’élection : « On voit quel pouvait être les apports de ces religions à l’édification de la notion de personne. Parce qu’internationales, elles étaient plus individuelles qu’une religion nationale ; elles accueillaient, appelaient tous les hommes. » (p. 171) Ensuite, ces religions donnent une nouvelle consistance et une nouvelle profondeur sentimentale au moi, tout en exaltant la possibilité d’être, au moins en partie, l’agent de sa propre vie par le choix d’une action morale : « Elles créaient des émotions, elles modelaient des sentiments. Elles apportaient des solutions à des problèmes moraux et elles faisaient surgir de nouveaux problèmes moraux. Elles orientaient les efforts vers un but idéal, elles forgeaient ainsi la volonté. Le culte quotidien suscitait, outre les états proprement religieux, le sentiment d’importance personnelle, spécialement chez les humbles qui se trouvaient brusquement les égaux des grands, et même pouvait les dépasser par un effort intérieur. Enfin et surtout, par l’espoir d’immortalité personnelle et d’accession au divin dès cette vie, ces croyances donnaient à la notion d’âme, une plénitude, une intensité, une densité inconnues dans l’ancien paganisme romain. » (p. 171)


Le christianisme, dont on a déjà vu l’apport ontologique, théoriquement très important mais dont les effets pratiques sont difficiles à mesurer, recueille tout cet héritage grec et oriental, en même temps que les pensées stoïcienne et néo-platonicienne. C’est lui qui, semble-t-il, met en place des pratiques nouvelles d’observation de soi, ces pratiques herméneutiques dont parlera plus tard Foucault, et donne ainsi un nouveau sens à la notion de πρόσωπον. Alors que jusque-là « ce n’[était] jamais en regardant en lui-même, par l’étude des faits intérieurs, que le Grec cherch[ait] à gouverner sa vie. Ses regards se port[aient] toujours au dehors » (p. 172, n. 1 – citation de V. Brochard, 1912), celle-ci s’enrichit d’un nouveau contenu réflexif concernant avant tout le moi : « La notion de conscience comprise comme témoin, comme juge, et, jusqu’à un certain point, celle de conscience psychologique : le retour vers soi. Cette évolution se fait entre le IIe siècle avant J.-C. et le IVe siècle après. » (p. 172)


Meyerson introduit la cinquième section de son étude, en expliquant qu’il va passer, toujours pour les mêmes périodes, des faits religieux au droit, à la politique et à l’économie. Cette étude s’appuie de nouveau sur les travaux de Gernet, en particulier ses Recherches sur le développement de la pensée juridique et morale en Grèce.


Meyerson rappelle les changements de sens des termes moraux les plus notables mis en évidence par Gernet : « outrage », « injustice », « atteinte à la chose ou à la personne », mais aussi « honneur », « honte », ou encore « souiller », « commettre une faute », « pardon », etc. De cette liste, il extrait les deux premiers sur lesquels il centre sa démonstration : ὔβρις, outrage et ἀδίϰημα, injustice.


Le premier, qui à l’origine implique les sens objectifs de « mal » et de « désordre », prend progressivement celui d’« atteinte à la personne ». Chez Homère, l’ὔβρις est un aveuglement fatal suscité par les dieux, mais deux siècles plus tard chez Théognis (actif vers 540 av. notre ère), « elle est un esprit d’orgueil et de perdition, à la fois principe fatal que les dieux suscitent et produit de la liberté humaine indépendant de la causalité divine » (p. 173). De même, ἀδίϰημα, qui à l’origine se présente comme un sentiment social-religieux, quasiment magique, « se laïcise et s’individualise progressivement, devient humain et contingent, s’objective, se lie à la notion de délit privé et à son histoire, se transforme quand apparaît pour elle-même et se développe la pensée du délit contre l’individu. » (p. 173)


Dans tous ces cas se produit une sorte de désengagement de l’individu vis-à-vis de son groupe. Apparaît une nouvelle notion de « l’honneur et [de] la réparation accordés à l’individu, [de] la garantie donnée aux membres du groupe, non plus comme membres d’une famille (ou plutôt : d’un groupe familial), mais pour eux-mêmes. » (p. 173) Ce processus élargit du même coup la sphère où l’individu peut devenir sujet de sa propre vie mais aussi de la vie collective : « M. Gernet analyse les conditions dans lesquelles le groupe commence à détacher de lui l’individu, qui devient objet et sujet de droits. » (p. 173)


Cette intrication du développement de l’individu et de l’agent est particulièrement visible lorsqu’on analyse les causes de ces transformations. Le facteur le plus décisif semble être la modification de la morphologie des sociétés grecques : la création des cités implique une différenciation fonctionnelle plus importante qui a tendance à valoriser l’individu dégagé de son groupe. Mais Gernet évoque aussi, « à titre accessoire », les conditions politiques et économiques nouvelles. Or, dans chaque cas, les progrès de l’individu et de l’agent vont de conserve : la mise en place de la démocratie, qui permet à chacun de s’opposer éventuellement à son groupe et de participer à la création et à l’application des lois, le passage de la propriété foncière, qui possède l’homme et l’inscrit dans un collectif transgénérationnel, à la propriété mobilière, qu’il possède et dont il dispose à sa guise, et l’extension du commerce extérieur, « qui fait aussi beaucoup pour donner à l’individu cette mobilité à l’égard du groupe et pour en faire ce point de convergence et d’initiative » (p. 174)


Meyerson achève la partie historique de son essai par trois études qui pourraient sembler étranges au regard de nos critères scientifiques actuels. Dans ces ultimes pages, il abandonne l’examen de faits localisés dans des sociétés ou des périodes précises pour des analyses comparatives effectuées soit dans la très longue durée, soit dans des sociétés diverses. La première, consacrée aux « noms de personne », enjambe, d’une manière déjà dépassée à l’époque, les sociétés dites « archaïques » censées représenter le stade d’évolution le plus ancien et les sociétés grecques et romaines. La seconde porte sur l’évolution plusieurs fois millénaire de l’emploi des verbes « “avoir” et “être” » dans les langues indo-européennes et des cercles existentiels qu’ils présupposent. La dernière, intitulée « personne et génie » associe des considérations sur le XXe siècle puis une analyse du génie en Grèce ancienne.


Mais ces études ne sont pas sans intérêt loin de là. Le premier est de montrer la place très importante des faits langagiers dans le devenir de la personne et de facto, pour son étude, des disciplines ayant affaire au langage : histoire, linguistique mais aussi anthropologie. Certes les études de Bally et de Van Ginneken sur avoir et être citées par Meyerson sont aujourd’hui totalement obsolètes du fait de leurs présupposés évolutionnistes, sans compter le vague de leurs conclusions historiques : « Malgré leur raideur, leurs retards, leur complexité, les langues parviennent à une expression de plus en plus précise et de plus en plus nuancée des actes et des objets touchant la personne. » (p. 178) Mais il n’en est pas de même pour l’étude sur les « noms de personne » qui prolonge une analyse déjà ébauchée dans la section sur la personne dans les sociétés archaïques. La méthode comparatiste que Meyerson y développe vient en quelque sorte croiser la méthode philologique qui soutenait l’étude reprise de Schlossmann sur l’évolution des usages juridiques et théologiques de persona et πρόσωπον, et celle reprise de Gernet sur ὔβρις et ἀδίϰημα dans leurs usages juridiques et littéraires. On voit ici l’influence de l’anthropologie qui vient ici enrichir des études historiques souvent trop refermées sur une seule société.


Meyerson souligne le fait que l’existence du nom, quelles que soient par ailleurs ses variations morphologiques, implique celle de la personne au sens tout d’abord de l’individu engagé dans son groupe : « Chez les peuples non civilisés, l’enfant n’existe pas avant d’être nommé. Le nom représente l’individualité et il la confère. Par lui se mesure la place qu’un groupe fait à l’individu, la protection qu’il lui assure ; si le nom est intangible, l’homme est intangible ; il peut être objet de tabou ; il deviendra objet de respect ; le moment, par exemple, où la signature commence à faire autorité est un moment important. » (p. 175) Mais le nom a affaire également au moi et à la singularité : « Le nom représente et confère non seulement l’identité, mais telle identité : en donnant à l’enfant le nom de son ancêtre, on le fait continuer ou même on le fait être cet ancêtre. On sait que, chez les Esquimaux, deux hommes qui portent le même nom se considèrent non seulement comme frères, mais comme identiques et interchangeables. Les changements de nom correspondent à des modifications de la personnalité. […] Le nom est si bien identifié avec l’homme qui le porte que, si celui-ci est en danger, il peut être nécessaire de changer son nom, donc son identité, pour que les esprits perdent sa trace. » (p. 175)


En Grèce antique, le nom appartient au chef de famille. Tous les êtres qui sont sous sa puissance, fils, filles, femme ou esclaves, portent son nom, au génitif car il désigne la maison à laquelle ils appartiennent. On désigne parfois les esclaves par le nom d’une ville ou d’un peuple. À Rome, les citoyens ont la prérogative de porter trois noms : le praenomen, le nomen gentilium et le cognomen. Celui qui n’est pas citoyen n’a que deux noms. L’esclave, au début, n’en a aucun ; on le désigne par le nom de son maître. La femme est désignée par le nom de son père ou celui de son mari ; un petit nom s’y joint d’ordinaire mais il tient d’avantage du surnom que du prénom.


Meyerson conclut comme le faisait Mauss : il y a déjà des personnes dans les populations archaïques et antiques mais elles ont des faciès très différents du nôtre et surtout des faciès différents au sein d’une même population. Certaines personnes sont valorisées et reconnues socialement : celle du chef de famille grec ou du citoyen romain. Elles bénéficient d’un moi religieux plus ou moins intégré et d’une individualité plus ou moins engagée dans le groupe, mais elles profitent d’une forte capacité d’action et parfois d’une singularité. D’autres ont un moi religieux commun, mais leur individualité est en grande partie absorbée dans le groupe et leur capacité d’action et leur singularité sont très faibles : « On pourrait schématiser le résultat de ces études : l’enfant, l’esclave, la femme jusqu’à un certain point n’ont pas de nom ; ils n’ont pas d’existence sociale individualisée et consacrée. À un même nom correspond une même personnalité ; à un changement de l’un correspond un changement de l’autre. » (p. 176)


La section sur laquelle se clôt cette histoire de la notion de personne concerne la relation entre « personne et génie ». Meyerson historise la notion et ne considère pas sa conception moderne comme un stade qui serait final et parfait, mais il est malgré tout intéressant, non seulement théoriquement mais aussi éthiquement et politiquement, que Meyerson termine son parcours par des considérations sur un thème aussi décrié à son époque – et encore aujourd’hui – que le génie. Dans une période où ne comptent, pour les historiens eux-mêmes, mais aussi pour nombre de philosophes et de sociologues, que l’action des masses, le lent glissement des croyances et des mentalités collectives, les expressions idéologiques de classe, il place ainsi, en quelque sorte comme une clé de voûte de sa recherche sur la personne, la question de la création artistique ou intellectuelle, c’est-à-dire de la partie la plus valorisée par notre culture de la question de l’agent.


Bien sûr il ne s’agit pas pour lui de la reprendre à son compte telle que l’a élaborée l’idéologie esthétisante des XVIIIe et XIXe siècles. Il s’agit au contraire d’en historiser la notion, c’est-à-dire d’enrichir encore l’histoire de la notion de personne par une étude consacrée à la notion d’agent artistique et intellectuel.


Meyerson va ici directement à l’essentiel et se contente de comparer deux conceptions en tout point opposées : celle des Anciens – Meyerson prend comme exemple les Grecs – et celle des Modernes. Par génie les Modernes entendent une capacité de création, d’invention, d’action innovante et en même temps une capacité à se changer soi-même : « Les actes du génie sont toujours inventeurs, initiateurs de vérités ou de techniques. C’est chaque fois un début, une sorte d’“absolu spirituel”. C’est en même temps une recréation de la personne. » (p. 180) Cette capacité appartient à la nature humaine et ne doit rien au divin. Elle implique seulement un équilibre entre une intuition irrationnelle et un travail de l’intelligence : « Les créations du génie nous apparaissent comme des faits d’intelligence […] C’est l’origine, le début de l’acte créateur qui nous semblent non rationnels, l’inspiration, l’illumination, le premier vers. L’élaboration ultérieure, c’est la raison. » (p. 180) Cette capacité à créer ou à inventer est en même temps source de singularité. La nouveauté, la cohérence interne et la fécondité de ses produits, rendent incomparable la personne illuminée par le génie : « Cette originalité est faite, entre autres, de nouveauté dans l’élaboration, de nouveauté dans le coup d’œil, d’une sorte de constante jeunesse et fraîcheur, et aussi de cohérence interne, de vérité interne. […] C’est, enfin, une originalité à la fois imprévue et féconde : selon la jolie formule de M. Segond, la réalisation d’un désir sans modèle. » (p. 181)


Le point de vue des Anciens est très différent. Le génie est pour eux un phénomène de type religieux qui vient non des profondeurs de l’homme mais directement des dieux : « Le génie est pour eux non la marque de la personne, mais un état de possession divine, comme l’indique le mot enthousiasme, un délire divin. » (p. 181) Pour Héraclite, la raison humaine peut respirer la raison divine dans le sommeil, ou y participer dans l’enthousiasme des cultes bachiques. L’enthousiasme régénère les âmes. Moyennant une purification de l’âme préalable, la folie des mystères permet de rentrer en contact avec la divinité. De même, Empédocle distingue la folie ordinaire et le délire créateur, qui manifeste le dieu qui est en nous. D’après Démocrite, la création poétique vient à la fois de l’inspiration divine et de la nature du poète. L’énergie divine met en branle les éléments de l’âme, d’où la sorte de folie ou de délire qui accompagne le génie créateur. Même chez Platon, il n’est question ni de personne ni d’acte personnel quand il analyse le don poétique ou prophétique. Ce n’est pas la raison, ni l’intelligence, ni la science, ni même le savoir technique, qui sont à la source de la création. Celle-ci est un don divin, elle se produit dans le délire divin.


Meyerson esquisse alors très rapidement, trop rapidement, les grandes étapes qui transformeront la conception antique du génie : « Son histoire ne marque guère de progrès pendant le Moyen Age. Elle se dessinera nettement pendant la querelle des Anciens et des Modernes, chez Perrault ; chez les esthéticiens anglais du XVIIIe siècle, Shaftesbury, Addison, Young. On connaît son développement dans le romantisme allemand et son histoire dans la pensée philosophique à partir du XVIIIe siècle. » (p. 184) La contribution est courte, on le voit, mais en réalité, sa valeur ne relève pas tant des informations qu’elle apporte que de la problématique toute nouvelle qu’elle inaugure.


*


En introduisant une nomenclature quadripartite fondée sur le corps et distinguant clairement moi, individu engagé dans son groupe, agent et singularité, Meyerson enfonce un coin dans le paradigme dualiste historiciste qui ne voit l’histoire anthropologique que sous les traits de l’individu et du moi, quand ce n’est pas comme chez Dumont seulement du premier. Tout en continuant à donner une importance à ces deux questions, il fait une place nouvelle à celles de l’agent et de la singularité. Il ébauche également une histoire des techniques du corps. L’histoire qu’il entrevoit, mais qui reste encore à faire, est donc bien supérieure à la grande épopée de l’individualisme imaginée par Dumont ou même à l’histoire déjà plus articulée des processus de civilisation étudiée par Elias.


Cette distance par rapport aux modèles scientifiques dominants explique le peu d’écho de son programme parmi les historiens français, qui à l’exception notable de Vernant, l’ignoreront jusqu’aux années 1990
 [35]. Elle explique aussi probablement le coup de génie par lequel il forge, dès 1960, l’expression « anthropologie historique » pour désigner le type de recherche qu’il appelle de ses vœux : « L’histoire que nous avons tentée ici est une anthropologie historique, quelque chose comme l’histoire de l’homme intérieur correspondant à l’histoire de l’homme extérieur, de l’homme social, à l’histoire des civilisations et des faits de civilisations ; les deux se correspondent, elles ne sont pas parallèles. [36] » Loin d’annoncer ce qu’André Burguière appellera plus tard « un mal passager » [37], cette appellation à ouvert à la connaissance historique de nouvelles voies qui allaient être bientôt parcourues par Jean-Pierre Vernant.


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Notes

[1L’expression semble avoir été forgée par Ernest Renan mais reflète parfaitement une grande partie de l’historiographie du XIXe siècle. Voir « La prière sur l’Acropole » (1876) dans E. Renan, Souvenirs d’Enfance et de Jeunesse, Paris, 1883.

[2B. Snell, Die Entdeckung des Geistes. Studien zur Entstehung des europäischen Denkens bei den Griechen, (1946), trad. fr. La découverte de l’esprit. La genèse de la pensée européenne chez les Grecs, Paris, L‘éclat, 1994.

[3Z. Barbu, Problems of Historical Psychology, London, Routledge and Kegan Paul, 1960. Voir en particulier le ch. IV : « The emergence of personality in the Greek World », p. 69-144.

[4J. de Romilly, Patience mon cœur ! L’essor de la psychologie dans la littérature grecque classique, Paris, Les Belles Lettres, 1991.

[5La critique par Dilthey de Hegel et de toutes les philosophies de l’histoire est exposée dans Critique de la raison historique. Introduction aux sciences de l’Esprit, (1883) trad. fr. S Mesure, Paris, Le Cerf, 1992. Pour une première approche de la conception alternative qu’il propose, voir W. Dilthey, « Die Typen der Weltanschauung und ihre Ausbildung in den Metaphysischen Systemen », (1911), Weltanschauungslehre, Ges. Sch., to. VIII.

[6Pour une présentation et quelques réflexions sur l’apport de Dilthey et de ses successeurs, voir P. Michon, Éléments d’une histoire du sujet, op. cit., p. 44-48 et Fragments d’inconnu, op. cit, p. 52 sq.

[7G. Simmel, « Goethes Individualismus », (1912), trad. fr. in Philosophie de la modernité II, Paris, Payot, 1990 ; « Individuum und Gesellschaft in Lebensanschauungen des 18-19 Jahrhunderts (Beispiel der philosophischen Soziologie) », (1917), trad. angl., The Sociology of Georg Simmel, New York, The Free Press, 1950, p. 58-84 ; « Das Individuum und die Freiheit », (1917), texte posthume qui est une version moins étoffée du précédent – trad. fr., dans Philosophie de la modernité, Paris, Payot, 1989 ; « Individualismus », (1917), trad. fr. in Philosophie de la modernité, Paris, Payot, 1989.

[8B. Groethuysen, Philosophische Anthropologie, (1931), trad. fr. Anthropologie philosophique, Paris, Gallimard, 1953.

[9P. Michon, Éléments d’une histoire du sujet, op. cit., p. 161-181.

[10B. Groethuysen, Die Entstehung der bürgerlichen Welt- und Lebensanschauung in Frankreich, (1927-30), 2 Bde. rééd., Frankfurt /Main, Suhrkamp, 1978, trad. fr. revue et fortement diminuée du précédent titre, Origines de l’esprit bourgeois en France T° I, Paris, Gallimard, 1927.

[11P. Michon, Éléments d’une histoire du sujet, op. cit., p. 151-161.

[12Vernant a consacré de nombreux textes à son maître Ignace Meyerson. On les trouvera dans J.-P. Vernant, Passé et Présent. Contributions à une psychologie historique, Textes réunis par R. Di Donato, Roma, Ed. di Storia e Letteratura, 1995.

[13A. Burguière, « L’anthropologie historique », in J. Le Goff (dir), La nouvelle histoire, Paris, Retz, 1978. On ne trouve d’ailleurs pas d’entrée « Psychologie historique » dans ce répertoire de « la nouvelle histoire », ni dans Faire de l’histoire, en 1974, ni dans le Dictionnaire des sciences historiques, en 1986. Vingt ans plus tard, Jacques Revel tire ce constat affligeant : « Le psychologue [Meyerson] est resté pratiquement absent des pages des Annales. » J. Revel, « Psychologie historique et histoire des mentalités », in F. Parot (dir.), Pour une psychologie historique. Écrits en hommage à Ignace Meyerson, Paris, PUF, 1996, p. 227.

[14« Il me faut indiquer, tout d’abord, avec grande honte, que ma lecture de l’œuvre d’Ignace Meyerson n’est que partielle et récente. Le fait semble, hélas, avoir été et être encore assez largement partagé dans la communauté des historiens. », R. Chartier, « Lire Meyerson aujourd’hui » in F. Parot (dir.), Pour une psychologie historique. Écrits en hommage à Ignace Meyerson, op. cit., p. 231.

[15J. Revel, « Psychologie historique et histoire des mentalités », F. Parot (dir.), Pour une psychologie historique. Écrits en hommage à Ignace Meyerson, op. cit., p. 223-225.

[16I. Meyerson, Les Fonctions psychologiques et les œuvres (1948), Paris, Albin Michel, 1995. On attachera une attention particulière à la belle postface de Riccardo di Donato, p. 223-272.

[17I. Meyerson (dir.), Les Problèmes de la personne (1960), Paris, Mouton, 1973, p. 7.

[18I. Meyerson, Les Fonctions psychologiques et les œuvres, op. cit., p. 9.

[19I. Meyerson (dir.), Les Problèmes de la personne, op. cit., p. 7. À ma connaissance, Meyerson ne cite guère Dilthey ; sa conception du rapport entre l’esprit et ses objectivations lui doit pourtant indubitablement beaucoup. Pour celui-ci, l’esprit s’objective en effet dans des œuvres qui rétroagissent à leur tour sur lui. Voir W. Dilthey, L’Édification du monde historique dans les sciences de l’esprit, (1910), trad. fr. S. Mesure, Paris, Le Cerf, 1988. Il cite plus souvent Humboldt, mais c’est en général pour en dire du mal. Pourtant là encore, il est très proche de l’idée humboldtienne que l’activité de l’esprit l’activité du langage, au sens large de production culturelle, ne font qu’une. On verra plus bas, l’ambivalence de Meyerson vis-à-vis de Humboldt et aussi de Saussure.

[20I. Meyerson, Les Fonctions psychologiques et les œuvres, op. cit., p. 12.

[21I. Meyerson, « Discontinuités et cheminements autonomes dans l’histoire de l’esprit » (1948), Écrits – 1920-1983. Pour une psychologie historique, Paris, PUF, p. 54.

[22I. Meyerson, Les Fonctions psychologiques et les œuvres, op. cit., p. 249.

[23J’ai corrigé cette citation qui était en partie incomplète. L. Gernet, Recherches sur le développement de la pensée juridique et morale en Grèce. Étude sémantique (1917), Paris, Albin Michel, 2001, p. 8.

[24Citation de M. Mauss, « Rapports réels et pratiques de la psychologie et de la sociologie », Journal de Psychologie, Paris, 1924, p. 913 sq.

[25Sur cette dialectique de la vie et de ses objectivations signifiantes, voir P. Michon, Éléments d’une histoire du sujet, op. cit., p. 149.

[26Sur les concepts de « poétique du social » et de « transsubjectivité », voir P. Michon, Fragments d’inconnu, op. cit., p. 205 sq.

[27I. Meyerson (dir.), Les Problèmes de la personne, colloque organisé à Royaumont les 29 sept.-3 oct. 1960 par le Centre de Recherche de Psychologie Comparative, Paris, Mouton, 1973, p. 8.

[28Pour une analyse critique de l’essai de Mauss sur la personne, P. Michon, Marcel Mauss retrouvé, op. cit.

[29I. Meyerson, Les Fonctions psychologiques et les œuvres, op. cit., p. 185.

[30I. Meyerson (dir.), Les Problèmes de la personne, op. cit., p. 8.

[31J. Murphy, « The Development of Individuality in the Ancient Civilization », Mélanges F. Cumont, II, AIPHO, 1936, p. 867-883.

[32M. Mauss, « Une catégorie de l’esprit humain : la notion de personne, celle de “moi” » (1938), Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, 1950, p. 331-362.

[33S. Schlossmann, Persona und πρόσωπον im Recht und im christlichen Dogma, Kiel, Festschrift, 1906.

[34Citation de J. Harrison, Prolegomena to the Study of Greek Religion, Cambridge, The Univ. Press, 1908, p. 474-76.

[35F. Parot (dir.), Pour une psychologie historique. Écrits en hommage à Ignace Meyerson, Paris, PUF, 1996.

[36I. Meyerson (dir.), Les Problèmes de la personne, op. cit., p. 474.

[37« L’anthropologie est donc peut-être pour l’historien un mal passager », A. Burguière, « L’anthropologie historique », J. Le Goff (dir.), La nouvelle histoire, Paris, Retz, 1978, p. 61.

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