HISTOIRE – Conférence de Sara Shroukh « Traditions iconographiques et arts de la mémoire. Ethnologie et histoire » – EHESS – 26 février 2013

Rhuthmos
Article publié le 23 février 2013
Pour citer cet article : Rhuthmos , « HISTOIRE – Conférence de Sara Shroukh « Traditions iconographiques et arts de la mémoire. Ethnologie et histoire » – EHESS – 26 février 2013  », Rhuthmos, 23 février 2013 [en ligne]. https://www.rhuthmos.eu/spip.php?article824

Conférence de Sara Shroukh : « Traditions iconographiques et arts de la mémoire. Ethnologie et histoire » – EHESS, 105 bd Raspail, 75006 Paris, Salle 1 – 26 février 2013 de 19 h à 21 h.

  • Depuis la basse Antiquité jusqu’au siècle des Lumières les traités européens d’art de la mémoire ont enseigné comment fabriquer un parcours ordonné de lieux (loci) dans l’espace de l’esprit et comment y inscrire des images (imagines agentes) qui renvoient, par le biais d’associations, aux choses dont on veut se souvenir. Forts de l’idée que les choses remarquables se retiennent plus aisément et plus durablement que les choses ordinaires, les auteurs de ces traités recommandent de fabriquer des images saillantes, susceptibles de s’ancrer dans l’esprit par les puissantes réactions émotionnelles qu’elles provoquent. Aussi ces images tirent-elles leur efficacité de leur énergie, voire de leur vitalité. Les auteurs de la grande majorité de traités d’ars memoriae rédigés notamment entre le XIVe et le XVIIe siècle conseillent vivement de fabriquer des images cum movimento, car, assurent-ils, « le mouvement est un meilleur garant du souvenir que l’immobilité et le repos. » (Bradwardine :1333)



Comment penser ce rapport du mouvement avec la mémoire ?


Quel rôle joue le mouvement dans les processus de fixation de la trace mnémonique et d’évocation du souvenir ?


Quel rôle joue-t-il dans la définition de relations mnémoniques établies par certains arts de la mémoire entre images et paroles ?


Ces questions, parmi d’autres, ont été à l’origine de mon analyse des opérations mentales mobilisées par un certain nombre d’arts de la mémoire classiques et médiévaux de la tradition occidentale, lorsque j’ai commencé, il y a cinq ans, ma thèse intitulée « Traditions iconographiques et arts de la mémoire. Ethnologie et histoire ».


De cette exploration s’est progressivement fait jour un modèle de mémorisation qui se réalise par l’imposition d’un critère d’ordre pensé en termes de mouvement ou, plus exactement, de rythme. En d’autres termes, celui qui pratique l’art de la mémoire est porté à établir des relations entre le rythme des paroles et le mouvement qui résulte de l’agencement des images de mémoire. Dans cette perspective, l’action qui relie les images dans la mémoire peut être considérée comme la représentation spatiale d’une succession sonore. D’où l’hypothèse que l’exactitude de la remémoration dépend de la capacité d’établir une relation dynamique entre une séquence ordonnée d’images et une séquence ordonnée de paroles.


L’identification de ce modèle de mémorisation particulier m’a permis non seulement de porter un regard neuf sur l’étude historique des traités européens d’art de la mémoire mais aussi de saisir les projections possibles d’un certain nombre de termes fondamentaux des techniques mnémoniques occidentales sur le domaine du geste liturgique.


Dans le développement de ce dernier aspect, l’analyse d’un traité italien datant de la fin du XIVe siècle, Il colloquio spirituale (v. 1391) du frère dominicain Simone da Cascina (†1418) qui se propose d’expliquer ou mieux de « dévoiler » les significations qui se cachent derrière les gestes accomplis par le prêtre pendant la Messe, à travers l’élaboration de séries d’images mentales, a été crucial. Forte de l’idée que ces images mentales doivent être saisies en rapport avec les gestes qu’elles accompagnent, j’ai focalisé mon étude sur la relation qui s’établit entre image physique et image mentale, voire entre action accomplie dans l’hic et nunc de la célébration eucharistique et action représentée mentalement. Il en est ressorti que l’acte rituel devient, dans le texte de Simone da Cascina, le support d’un système mnémonique.


Mais il y a plus. Cette étude du Colloquio Spirituale m’a permis de construire des prémisses fort utiles dans l’identification et dans l’analyse des opérations mentales mobilisées par l’usage d’un texte yucatèque de l’exposition de la symbologie de la Messe – contenu dans le livre de Chilam Balam de Kàua (XVIe siècle) –, où à chaque geste du prêtre est fait correspondre, de manière parfois inattendue, l’image d’un épisode de la Passion du Christ.


De mes analyses préliminaires, il est apparu que dans ce texte amérindien – comme dans le texte européen de l’exposition des mystères de la Messe –, opère une stratégie mnémonique qui se fonde sur une articulation dynamique entre des séquences ordonnées d’images et des séquences ordonnées de gestes rituels. Cette stratégie conduit aussi à la mise en place de modèles inédits de représentations qui se développent parallèlement aux modèles propagés par les missionnaires afin de marquer l’imaginaire collectif des Indiens. À travers l’analyse de cette stratégie particulière, je chercherai alors à montrer le rôle crucial joué par une certaine manière séquentielle et dynamique d’orienter la mémoire d’un ensemble de connaissances partagées dans l’invention et dans la transmission d’une « nouvelle » iconographie chrétienne au sein de certaines sociétés – telle que la yucatèque de la période coloniale –, qui se situent à la frontière entre Occident et non Occident.

Suivre la vie du site RSS 2.0 | Plan du site | Espace privé | SPIP