TRANSDISCIPLINAIRES – Appel à contribution pour le colloque « Gestes, mouvements, rythmes du commun » – 18-20 octobre 2023

Rhuthmos
Article publié le 16 septembre 2023
Pour citer cet article : Rhuthmos , « TRANSDISCIPLINAIRES – Appel à contribution pour le colloque « Gestes, mouvements, rythmes du commun » – 18-20 octobre 2023  », Rhuthmos, 16 septembre 2023 [en ligne]. https://www.rhuthmos.eu/spip.php?article2981
— COLLOQUE —


« GESTES, RYTHMES ET MOUVEMENTS DU COMMUN »

Médiathèque du Patrimoine et de la Photographie

Paris-Charenton (M° Liberté), 18-20 octobre 2023


Propositions de participation, communication, table ronde et atelier à envoyer

jusqu’au 1er juillet 2023

à l’adresse astruc.remi[at]orange.fr


Argument :


Soulèvements, retournements, insurrections, révolutions, écrasements, bonds en avant, retours en arrière, stagnations sont autant de mouvements —élans et retombées— qui agitent en permanence le « corps social », comme si celui-ci était effectivement composé de muscles et de tendons qui n’ont de cesse de s’activer et de se relâcher, d’entraîner celui-ci dans une direction ou une autre. Or on peut penser qu’il y a bien plus qu’une grossière métaphore vitaliste derrière cette façon de qualifier les groupes et les sociétés dans leur turbulente évolution : il y a la perception, claire bien que subtile, qu’une réalité physique peut seule constituer le support d’un « être-en-commun », voire d’un mouvement commun.


L’existence et par la suite l’activité d’un groupe social, d’une communauté ou même d’une société doivent ainsi toujours pouvoir se concevoir d’abord dans le sensible. C’est d’ailleurs le sens premier de la notion de « mobilisation », qui signifie mise en mouvement d’un collectif et qui seule, parfois, permet de révéler la con-stitution (« se tenir droit ensemble ») d’un groupe, lequel, pour être ou en tout cas pour apparaître, doit au moins donner l’impression qu’il est prêt à se dresser, voire à se déplacer dans le temps et dans l’espace, à se mettre en marche. Dès lors, qui veut réellement comprendre les dynamiques sociales doit nécessairement se pencher sur la dimension proprement cinétique de celles-ci, s’intéresser à comment se coordonnent et se mettent en mouvement des corps qui, en dernier ressort, les composent. Cela requiert une attention particulière aux impulsions, aux énergies, aux flux qui orientent ces expressions physiques, ainsi qu’à l’espace qui les reçoit et où elles s’impriment, aux images, tracés, circonvolutions qu’elles y dessinent.


Le sentiment de « communauté » (que Max Weber préférait appeler « communautisation », soulignant ainsi la dimension de processus à l’œuvre [1]) —et dans une moindre mesure de « société »— est de fait toujours un mouvement tout à la fois physique et en partie psychique de réunion, d’accord, d’alignement des consciences et des corps, voire des pas, dans une même direction ou convergeant vers un même centre. Avant même d’être un concept ou une idée, ce qui constitue « le commun » est ainsi un élan, un élancement, une impulsion. De même, « les communs » traduisent une aspiration collective, ou une poussée —autre mouvement, inverse— visant à dépasser la sphère individuelle privée tout en investissant autrement la sphère publique. Sans que nous en prenions bien conscience, toute une chorégraphie dessine ainsi en permanence les trajectoires de nos affections communes. De telle sorte qu’une formulation et une description en termes de gestes, de mouvement et de rythme de l’existence collective s’impose. C’est le sens de la « choréopolitique » esquissée par le chercheur en Performance Studies André Lepecki [2], laquelle viendrait s’opposer à la captation de ces mêmes capacités de mobilité par les gouvernements et leurs « forces de l’ordre » ou « choréopolice »…


Car s’il est vrai ainsi que le commun n’est pas tant un contenu (un donné, une identité, ou même un objectif) que des processus, des cheminements, des alignements et des résonances, ou des méthodes et des synergies, cela signifie aussi que celui-ci est donc principalement— voire dans certains cas uniquement— saisissable en termes de mouvement, de déplacement et de constitutions de formes. Il importe ainsi de savoir repérer ces dynamiques et —pourquoi pas ?— de savoir les produire. Comment dès lors faire apparaître ces trajectoires et mobilités collectives qui le plus souvent nous échappent et comment en rendre les tracés signifiants ?


Cela implique avant tout un certain changement de regard et de paradigme épistémologique. Car les sciences humaines et sociales ont toujours été mal à l’aise face à la labilité des processus. Comme la plupart des sciences dans notre épistémologie, elles s’attachent plus facilement aux régularités et aux fixités. La question dès lors du repérage des processus du commun, des outils et des moyens pour en rendre compte, s’avère cruciale alors qu’elle est pour l’instant largement délaissée. De ce point de vue, l’étude séminale de Pierre Dardot et Christian Laval, Commun. Essai sur la révolution au XXIe siècle, aussi stimulante fut-elle, se distingue par la faiblesse de l’analyse des processus esthétiques qui accompagnent toute proposition de commun. La présentation des éléments politiques, intellectuels et pratiques y reste en effet largement sèche et désincarnée. Certes pas plus que dans d’autres théories du social, comme la théorie de l’acteur-réseau (ANT), qui reste elle aussi passablement aveugle à des modes d’apparaître ou de ressentir que les esthétiques déploient. Or on peut penser que c’est bien pourtant la part la plus vivante des processus de commun qui se joue dans les dynamiques physiques qui dessinent nos existences collectives en termes de déplacements, de tempos, de figures…et donc qu’un travail important nous appelle pour compléter ces descriptions.


Percevoir pleinement ces mouvements requiert donc un autre type de sensibilité. Sensibilité à l’affection et à l’émotion (« é-mu » : être bougé), qui permet cette saisie cinétique, laquelle est nécessairement aussi esthétique, voire poétique. Les arts, en tant qu’expressions de désirs et productions de formes, sont quant à eux naturellement branchés sur ces processus de mobilité et de mise en mouvement de l’énergie collective. Parce qu’ils sont les producteurs ou les capteurs de cette énergie, ils sont eux-mêmes souvent traversés et irrigués par ces dynamiques, qu’ils anticipent, accompagnent ou reflètent. Dans tous les cas, ils se révèlent des instruments indispensables de lecture car ils ont le pouvoir de traduire esthétiquement ces dynamiques : ils les dévoilent et leur donnent une existence perceptible au plus grand nombre. Mais ils ne sont pas les seuls à pouvoir le faire. En dehors des stricts phénomènes artistiques, il est essentiel de s’atteler à penser une lecture esthétique des regroupements, des phénomènes collectifs et des constitutions de commun(s) et de communautés, comme l’ont compris Georges Didi-Hubermann ou Bernard Stiegler. Mais celle-ci n’est possible que si l’on se donne la peine, en suivant parmi d’autres les traces de l’anthropologue-esthète Tim Ingold ou du sociologue-romancier Richard Sennett, d’écouter et de regarder les formes qui apparaissent et de considérer que bien qu’en apparence infra-politiques (par rapport à des revendications plus explicites par exemple), elles sont néanmoins déjà au cœur de processus politiques en phase de configuration, qu’il faut savoir reconnaître et interpréter.


C’est pourquoi, dans la poursuite des réflexions menées dans le cadre de deux précédents colloques internationaux : « Images du commun et de la Communauté » (Paris, 2017), « Communitas, les mots du commun » (Cergy, 2019), nous vous invitons à participer à un troisième volet de ce programme de recherche consacré aux esthétiques de la communauté, consacré cette fois aux « gestes, rythmes et mouvements du commun ». Celui-ci se penchera donc plus spécifiquement sur les dynamiques corporelles, intellectuelles et sensibles des productions de commun(s) et de communauté. Ainsi quels sont les gestes qui créent du commun, les actions qui dynamisent un processus collectif ? Quels tracés dans l’espace, quelles attractions/répulsions, surgissements, déplacements, déploiements ou involutions, accompagnent les moments de communisation ? Plus largement, quels mouvements, mobilités, s’expriment dans les rassemblements, les mobilisations, les mises en communs et toutes les autres expressions d’un collectif ? Et quelles formes apparaissent alors plus spécifiquement dans la sphère publique, dans la sphère privée, sur la scène d’un théâtre, dans la rue ou sur l’arène politique ?


Nul doute qu’il est ainsi possible de faire apparaître tout un design des affections collectives. Des processus de rencontre, d’échange, de tissage ou de mise en ordre sont en effet à l’œuvre en tout temps et partout. De la réalité urbaine aux mixités sociales ou générationnelles, un modelage plus ou moins spontané ou organisé de nos façons de voir et de faire se produit, au cœur de nos façons de nous aimer, de nous révolter, de nous enthousiasmer, de nous réunir et de nous séparer. Bref dans tout ce qui construit esthétiquement l’environnement sensible de nos existences collectives. Tel sera donc le cœur de ces rencontres, qui se tiendront du 18 au 20 octobre prochain à Paris. Elles permettront en particulier de confronter des approches théoriques et des approches pratiques ou artistiques. Un dialogue et un nouage — forme clé – des corps et des esprits, par-delà les champs disciplinaires ou d’expression habituels tentera d’être établi. Ce sera ainsi l’occasion d’examiner les formes concrètes d’expériences de commun (organisations de collectifs, de communautés, d’expériences urbaines et artistiques, etc.), dans leurs processus sensibles d’invention et de coopération collectives. Dans ce cadre y seront en particulier présentés les résultats théoriques et méthodologiques, en même temps que certaines créations, du projet Erasmus + « Creative Commune » dont CY University et la CCC ont été partenaires.


Organisé par le laboratoire Héritage - UMR

En partenariat avec Creative Commune,

Responsables : Rémi Astruc (CYU), Madeleine Planeix-Crocker (EHESS)


Contact : astruc.remi@orange.fr

Notes

[1Dans les Concepts fondamentaux de sociologie (1920), Max Weber distingue entre Vergemeinschaftung (« communautisation ») et Vergesellschaftung (« sociétisation »). Voir par exemple : Catherine Colliot-Thélène, « La notion de »communauté« chez Max Weber : enjeux contemporains », Cahiers de philosophie de l’université de Caen, n° 56, 2019, p. 35-56.

[2Voir André Lepecki, « Choreopolitics and choreopolice », Communauté des Chercheurs sur la Communauté, Communauthèque, rubrique « Art biopolitique » [en ligne].

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