THÉOLOGIE – Défense de thèse : « Le rythme est liturgie. performance, action et participation des chants liturgiques africains Luba du Kasayi » par Pierre Kabongo N’kishi – 13 décembre 2011

Rhuthmos
Article publié le 8 novembre 2011
Pour citer cet article : Rhuthmos , « THÉOLOGIE – Défense de thèse : « Le rythme est liturgie. performance, action et participation des chants liturgiques africains Luba du Kasayi » par Pierre Kabongo N’kishi – 13 décembre 2011  », Rhuthmos, 8 novembre 2011 [en ligne]. https://www.rhuthmos.eu/spip.php?article455
PONTIFICIUM ATHENAEUM S. ANSELMI DE URBE


– FACULTAS SACRAE THEOLOGIAE –


Ad doctoratum consequendum in Sacra Theologia


Pierre Kabongo N’kishi


publice defendet dissertationem



LE RYTHME EST LITURGIE.

PERFORMANCE, ACTION ET PARTICIPATION DES CHANTS

LITURGIQUES AFRICAINS LUBA DU KASAYI


Moderator : Prof. Andrea Grillo


Die 13 Decembris, hora 10.30 – Roma, Piazza Cavalieri di Malta, 5


Juan Javier Flores Arcas, o.s.b.

Rector


De quoi s’agit-il sinon de mettre en exergue – et c’est notre prémisse – l’aspect vivant et vitalisant, la puissance, le dynamisme et l’énergie du rythme musical ? Le recherchant comme lieu de sens doté d’une stratégie et d’une capacité organisatrices effectivement performatives et donc impératives dans sa signifiance, il est question d’en étaler l’impact énergético-dynamique ; sa puissance de vitalisation, d’harmonisation et d’organisation de toute matière ainsi que de toute individualité confiées à son action. Il sera ainsi question de la mise en exergue du rythme vivant comme synthèse complète entre la performance, l’action et la participation liturgique. Faisant ainsi de la rythmo-énergie la condition de possibilité de toute autre rythmanalyse, nous plaçons dans le rythme vivant la clef de voûte portant au sens et à la signification de la musique du créé, à celle biblique en passant par le déploiement théologico-liturgique de la « la musique de Dieu », pour enfin établir la connaturalité du rythme musical des chants liturgiques luba du Kasayi avec l’action qu’ils célèbrent. Dans cette optique, nous démontrerons que le rythme de la vie – vital et vitalisant dans ses actions – appartient au cœur pulsant de la Liturgie et de ses actions symbolico-rituels tout en y constituant une source génératrice de la singularité de ses actions ainsi que de leur trame successivement cadencées.


Comme on peut déjà le constater, une telle approche de la signification du rythme constitue un dialogue ouvert avec la conception qu’en propose – pour une large audience – les manuels classiques de musique et d’enseignement sur la rythmique. Grâce à la mise en exergue de son approche vital et vitalisant, le rythme instaure son questionnement au sein de la vie cultuelle et rituelle de l’homme lorsque celle-ci ne souffre pas du monopole exclusivement rationaliste et idéalisant. Sa capacité vitalisante interroge la vie rituelle et liturgique des célébrations de Dieu et de son Salut en Jésus Christ, plus spécialement dans la vie eucharistique où pulse toute une théologie de la liturgie. Une telle immédiateté de l’aspect rythmique aurait des bénéfices à concéder à la célébration eucharistique ainsi qu’à celles des autres sacrements eu égard à la dynamique vitale de médiation où, jusqu’aux facteurs psycho-dynamiques, l’homme est impliqué – corps et esprit ; émotions et intelligence – dans une participation pour laquelle le Concile Vatican II souhaite « obtenir que les fidèles n’assistent pas à ce mystère de la foi comme des spectateurs étrangers ou muets, mais que, le comprenant bien dans ses rites et dans ses prières, ils participent consciemment, pieusement et activement à l’action sacrée… » (SC 48).


Déjà ici résiderait – et c’est là l’intérêt de ce travail – le manque à gagner eu égard à la contribution rythmique vis-à-vis de la participation ainsi que de l’enseignement Liturgique. Dans la nature de la Liturgie, « exercice sacerdotale du Christ » (SC 7), le rythme vivant opéré par le Verbe de Dieu à la création, et celui pulsant dans les sentiments qui furent les siens dans sa Vie – Passion – Mort et Résurrection , outre à induire à l’observation du rythme trinitaire de la Vérité, conduit également à un sens de « la musique de Dieu ». Lieu où l’histoire et l’œuvre du salut prennent, par le biais de leur rythme observable, la signifiance et la configuration d’une grande Symphonie. Là le Créateur, sans cacophonie, intervient et agit au juste moment déclenchant un rythme portant des origines de l’Humanité jusqu’à la plénitude des temps. C’est sur l’onde d’une telle parabole que les chants de la musique humaine rencontre le chant de la musique du créé (Les cieux racontent la Gloire de Dieu !) jusqu’à croiser le chant de louange du Christ au Père inscrit dans le mouvement vivant intérieur et extérieur à sa passion sa mort et sa résurrection.
Dans un rapprochement à la Liturgie céleste où le Christ est assis à la droite du Père (SC 8), établir la précédente connexion entre le rythme des chants liturgiques luba du Kasayi – champs circonscrit et lieu d’émergence de l’intuition de cette thèse doctorale en faveur de la Liturgie Catholique – c’est indiquer non seulement son interconnexion, mais aussi et surtout sa connaturalité à la vraie Liturgie ; celle où c’est le Christ lui-même qui rend gloire à son Père dans un service de salut à l’Humanité. A cette démonstration centrale pend, dans un discours théologique de trempe africaine, une théologie de la Liturgie où les chants et les danses des liturgies africaines luba du Kasayi véhiculent de toute évidence une christologie spécifique ; fortement sotériologique et très performative dans la primordialité de « la force de la vie » et l’ascendance d’un a priori pragmatico-corporel.


Dans cette optique, afin de démontrer que le rythme de la vie – vital et vitalisant dans ses actions – appartient au cœur pulsant de la Liturgie et des ses actions symbolico-rituels tout en y constituant une source génératrice de la singularité de ses actions ainsi que de leur trame successivement cadencées, quatre piliers définissent non seulement le cadre et la configuration de notre schémas, mais aussi la méthode de tout notre parcours. Du même coup, les dits piliers délimitent le champ épistémologique, géographique et socio-culturel de nos recherches jusqu’à l’intéressant dégagement d’une théologie de la liturgie où le rythme vivant s’érige en œuvre théandrique vivante dans les œuvres de Dieu et dans celles de l’homme, dans celles du Christ jusque dans celles divino-humaines liturgiquement célébrés. Tour à tour théologique (1), anthropologique (2) et christologique (3) jusqu’à leur facture symbolico-rituelle et liturgique (4) tel qu’elle brille dans l’intelligence du Concile Vatican II, ces quatre piliers sont :


a. L’œuvre de Dieu à la Création. En elle se dégage, avec une signification de l’acte de créer et du Logos créateur, le sens rythmico-énergétique de l’Univers et du chant des psaumes.


b. Les œuvres de l’homme où la musique semble l’une des plus rythmiques dans ses gestes et dans sa signification.


c. L’œuvre de l’Homme-Dieu, Jésus-Christ, dont la sotériologie concède – avec la vraie liturgie – d’observer dans sa Passion l’action du rythme vivant des sentiments qui étaient siens. Mouvement intérieur, affectivement et passionnément qualifié où « pâtir » et souffrir implique le pathos du Messie dans l’intention de sauver le monde et ainsi accomplir le vouloir du Père, la Passion du Christ s’érige ici en pierre d’achoppement de tout le rythme trinitaire de la vérité au sein de l’histoire du Salut. De son incarnation à son ascension, le rythme vivant prend ici l’allure et la signifiance d’une symphonie composée par Dieu lui-même dans une harmonie ponctuelle et parfaite : Re-création de l’Humanité.


d. L’œuvre de Dieu et l’œuvre de l’homme : l’Eucharistie « rythmoénergétiquement » célébrée. Service de Dieu à l’homme et action de grâce de l’homme à Dieu dans leur effective interaction descendante et ascendante.


Constituant puissant du vivant ainsi que de la vie, grâce à son énergie vitale et vitalisante, le rythme vivant reconduit au Créateur en passant inévitablement par son Verbe qui crée et recrée. La bible en dit long à ce propos incitant à l’observation selon laquelle le rythme dit Dieu. Il théologise et est théologique. Il appartient vitalement à l’œuvre de Dieu de telle sorte que créer et recréer, de la part de Dieu c’est rythmer. D’une enquête issue du Livre de la foi judéo-chrétienne et de matrice hébraïque dérive un sens et une signification de la musique tels que repérables dans les chants du Psautier jusqu’à leur utilisation dans la vie du Rédempteur, Messie et Unique Sauveur de l’Humanité ; Verbe Créateur dont l’énergie rythmique inonde tout le créé. A l’action du rythme appartient ici la symphonie de toute l’Histoire du Salut dont l’Auteur est Dieu lui-même dans sa contreposition avec la cacophonie (chaos) que l’intervention de Dieu organise et harmonise au bénéfice de tout le créé : la musique de Dieu !


Mérite des théologies bibliques de la création qui deviendra plus loin mérite de la Christologie sotériologique prises dans leurs actions effectives, cette découverte concède une récupération du modèle rythmo-énergétique dans l’observation des œuvres humaines en générales et dans celles musicales en particulier. Avant de plonger dans une perspective d’anthropologie théologique, l’anthropologie musicale porte – dans une capacité de la musique comme étant un miroir puissant d’une culture ainsi que de ses valeurs mais aussi comme facteur de celles-ci – à en observer l’énergie, la stratégie et la facture finale qui gronde dans son rythme. Devenant ainsi opératrice de signifiance et d’action, le rythme – lorsqu’il est vivant – fait l’appartenance collective à une communauté de destin tout en opérant dans le sujet singulier la signifiance de ce que la musique évoque et invoque. Synthèse complète entre la performance, l’action et la participation le rythme ne saurait simplement se réduire à une division arithmétique de la mesure dans l’art du temps. Dans un tel impératif comme il se donne à observer dans la comparaison des cultures musicales différentes, corps et ratio s’y embrassent à la totalité de l’action humaine comme le monde créé et celui du Créateur s’y rencontraient par le biais du rythme du créé. À l’a priori essentialiste des lois musicales autonomes supplée l’a priori pragmatico-corporel avec ses bénéfices totalisants du corps et de l’esprit. Ce de quoi arguer que, dans l’œuvre de Dieu comme dans l’œuvre de l’homme le rythme fait l’action. Il la constitue et la médiatise. De sa création par Dieu jusqu’à ses créations socio-culturellement qualifiées, l’homme est constitutionnellement et performativement rythmique. Le rythme est le cœur vibrant, la clef de voute et l’instrument opératif de ses créations et de ses recréations. Il fait vivre et fait l’action y implicant sans désintégration l’individu et la communauté, le sujet et l’objet.


À cette constatation nous conduit – dans une anthropologie théologique de la centralité du Christ – le sens et la signification symbolico-rituelle du chant et de la musique. Avec à son centre l’homme en général et l’Homme-Dieu en particulier, le rythme – non seulement vit au cœur de la Vérité lorsqu’elle appartient à la Sainte Trinité mais aussi – qualifie l’action salvifique du rite de la dernière cène jusqu’à la Passion, à la Mort à la Résurrection du Christ pour la Vie du monde. Qualifiant de l’action – performative et non seulement descriptive – de l’homme en célébration, un tel rythme vivant opère l’action de grâce, la louange et l’adoration de Dieu dans le Sacrifice Suprême de son Fils. La musique, les chants et les danses ainsi que la nomination de Dieu et du Christ qui en dérivent s’immergent dans la nature même de la musique de Dieu faisant du rythme musical des chants des célébrations liturgiques luba du Kasayi – notre musique de référence – une liturgie authentique à tous les effets. C’est une telle place du rythme vivant qui permet d’en affirmer la nécessité jusque dans le processus rituel lorsqu’il veut sortir du vide de la statio vers une totale expression de la foi qui l’anime, l’organise et l’harmonise jusque dans ses silences, ses pauses, ses prises et ses reprises. De ce modèle anthropologico-théologique de la centralité du Christ dérive le sens vivant du rythme musical et celui rituel du rythme. Synchroniquement et diachroniquement, le rythme est la vie liturgique. Il est Liturgie. Dans cette œuvre théandrique le rythme est vivant, agissant et opérationnel ; qualifiant, énergétique et puissamment totalisant ne pouvant laisser au seul contrôle mental sa destinée vitale capitale pour tout l’homme et pour tout homme.


C’est à cela que nous porte l’observation de la liturgie catholique en République démocratique du Congo lorsque, dans un même seul rite Romain, son Missel (le MRDZ) est rythmo-énergétiquement comparé avec le Missel de Paul VI (le MR). Plusieurs implications liturgico-pastorales en dérivent qui invitent à une attention plus accrue à la vie du rythme dans les actions cultuelles de la Liturgie jusqu’à sa grande médiation dans l’immédiateté de la vie vécue où le Royaume de Dieu est déjà là mais pas encore totalement là. Ici comme souhaité qu’il en soit ailleurs par l’intelligence Liturgique du Concile Vatican II, le rythme catéchise et évangélise ; il théologise et « liturgise » par le biais de sa puissance énergétique, vitale et vitalisante, partageable et partagée.



CONCLUSION GÉNÉRALE


En guise de couronnement de l’ensemble de notre parcours, au-delà des débats agités et agitant sur la musique liturgique ainsi que sa portée théologico-liturgique, il se profile un horizon rythmo-énergétique théologiquement et liturgiquement qualifiant dans la performativité de l’œuvre de Dieu ainsi que dans celle humaine.
Dans l’œuvre de Dieu sied d’observer, sous l’éclairage de la Bible et de son Monde, la source et le principe du rythme vivant – puissance énergétique, vitalisatrice et harmonisatrice – dans l’action du Verbe de Dieu dès l’origine et la création de l’Humanité. A l’émission de son Verbe Créateur, Dieu dit et ce qu’il dit survient à l’existence dans un ordre et une succession magnifique, fascinante et génératrice d’une reconnaissance de son empreinte créatrice ainsi qu’une connaissance de sa Gloire d’où tout naturellement un culte et une action de grâce. Dans un tel contexte, créer c’est rythmer et rythmer est le propre du Verbe qui, dès lors trouve son critère de vérité tout inscrit dans ce qu’il génère. Il génère la vie. Avec la vie et au dedans d’elle le Verbe Créateur génère aussi et en même temps le rythme vivant. Il y a plus, dans le processus de son incarnation au sein duquel s’inscrit, avec la notion de la plénitude des temps, la Rédemption de l’Humanité entendue comme Œuvre de re-création par sa Passion soufferte s’offre un rythme précis. Celui-ci est vivant dans ses œuvres, gestes liés aux paroles, dispensatrices à leur tour d’une épistémologie, d’une anthropologie et d’une liturgie particulières. Le centre d’intérêt vital reste ici le Verbe incarné lui-même, révélation complète de Dieu, de son visage et de sa sollicitude rythmiquement exprimée dans la vie de l’homme et dans celle du Cosmos. Le rythme vivant qu’il engendre est une oscillation de la vie des siens autour de Lui et en fonction de Lui, jusqu’à la communion parfaite avec Lui, celle-là même s’inscrivant dans le couronnement du rythme trinitaire de la Vérité. Récapitulant tout dans le Christ en vue d’une vision parfaite de sa face et d’un rachat complet de l’Humanité, Dieu instaure dans la Passion de son Fils, non seulement le point culminant du Salut mais aussi le rythme vivant de toute l’histoire s’y afférant.


Dans l’œuvre de « re – création » ou Rédemption (Récapitulation) se dresse le dynamisme vivant d’un tel rythme lorsque, la mort, la résurrection et l’ascension qui s’en suivent dans la vie du Verbe incarné ne sont qu’une automanifestation éclatante de sa Gloire et source intarissable d’action de grâce, de louange et d’adoration. Magnifique dans la vie créée grâce au Logos créateur (dabar) ainsi que dans celle rachetée par l’action du Logos de la Croix, le rythme vivant de la Gloire de Dieu ainsi que de sa connaissance - entendue comme foi en Lui de la part des hommes - s’érige en source intarissable d’une perpétuelle action de grâce où :


1. Les cieux racontent la gloire de Dieu


2. La passion mort et résurrection du Christ au sein de son incarnation sont un chant de Louange au Père par l’obéissance du Fils


3. Dans un même élan du cœur – englobant des sentiments et de l’intelligence - les hommes puisent à une incessante dynamique ; motif pour plier les genoux, élever les mains au ciel, chanter et, pourquoi pas danser, au rythme de la vie de Dieu concédée à tous les peuples et à toutes les nations en Jésus Christ.


Au chant de Louange du Christ au Père s’entrelacent le cantique des créatures – dont le rythme est éloquent dans l’Hymne au Créateur (Ps 18 a) – ainsi que le chant et les danses de la musique des hommes où les Psaumes invitent à louer Dieu avec une diversité d’instruments sans méconnaitre l’importance des danses liées au tambours (Ps 150). Dans la Bible, outre aux hommes et aux femmes qui chantent et dansent pour Dieu et à la centralité de sa Parole, la création tout entière et la re-création à sa suite, toutes deux sont une danse au rythme de la vie. Ce de quoi postuler que, loin de l’unilatéralisation arithmétique et métrique du rythme tel qu’elle s’offre dans une large audience des manuels musicaux, le rythme est dans une très large mesure signe de vie ; ou mieux le rythme est la vie. D’un tel rythme se retrouvent des originaires traces dans l’Univers, dans le temps cyclique de la nature ainsi que dans les saisons de la vie humaine.


De ce qui précède dérive l’enquête de la place d’un tel rythme dans les œuvres humaines, plus spécialement dans sa musique religieusement et socio-culturellement qualifiée. Dès lors l’anthropologie musicale concède – sous le registre de performance cultuelle et rituelle – d’observer la centralité des actions de Dieu (événements en faveur de l’homme de la Bible) lorsque celles-ci génèrent dans la vie de l’homme un rythme apte à déclencher la louange et l’adoration des hommes dans des moments aussi suggestifs comme la traversée de la mer Rouge (Ex. 15, 20) ; la Victoire de David sur Goliath (1 Sam 18, 6 -7) ; l’accompagnement de l’Arche de l’Alliance vers la Capitale Jérusalem (2 Sam 6, 16). Bien plus, la prière de l’homme biblique pose ses racines dans le rythme de la vie vécue, individuelle ou communautaire, faite des inévitables hauts et bas ainsi que des inévitables sentiments qui la contresignent. A ce propos, par delà l’expérience de tout un Peuple – le Peuple du Livre qu’est la Bible –, l’expérience du Roi David qui tournoie, saute et danse à la gloire de Dieu offre à la prière de l’Eglise tous ses trésors lorsqu’il entonne : « Tu as changé ma plainte en une danse de joie ; Tu m’as ôté mon vêtement de deuil, tu l’as remplacé par un habit de fête. » (Ps. 30, 12). Ou encore : « Qu’on glorifie le Seigneur par des danses, qu’on le célèbre au rythme du tambourin et aux accords de la lyre. » (Ps. 149, 3).


L’anthropologie théologico-musicale se dégageant de la cantilène juive d’abord et du psautier ensuite, enseignent qu’il s’agit là des chants du rythme de la vie émotionnellement motivés et organisés sous l’égide d’une action réputée dans la foi comme issue ou attendue de Dieu. De là procède leur aspect rituel, symbolique et cultuel. D’une part, il y est question d’une harmonisation de la vie au rythme de son flux quotidien où l’homme – dans sa prière, dans ses liturgies et dans son culte – appelle Dieu et l’invoque comme son allié pour la Vie. D’autre part, Dieu lui-même s’incline vers son Peuple et ne le prive pas de son alliance. Dans l’entre deux vit la vérité, le sens et la signification des chants et des danses, des gestes et des paroles dont le rythme suit celui de la vie et de la foi des hommes, socio-culturellement situés, et dans leur alliance avec Dieu. La signification des sons et des cris, des mélodies et de leur rythme des mouvements et des pauses rencontrent ici leur valeur symbolique jusqu’à leur impératif rituel. Un a priori pragmatico-corporel s’y distancie de celui essentialiste tout concentré sur des lois musicales autonomes, rationnels et génératrices d’une musique belle en elle-même. Au sein de l’ a priori pragamatico-corporel s’érige un son musical uni aux chants et aux danses par l’énergie du rythme vivant d’où, avec sa valeur symbolico-rituelle, se dégage performativement - comme d’une source - l’action cultuelle, libre des contraintes limitatives simplement intellectualisées au grand bénéfice connaturel de la Liturgie qui est d’abord une praxis vitale avant de se dresser en discours verbal mentalement rubricisé.


De son imbrication avec le rythme de la vie vécue qui lui concède toute sa valeur rituel jusqu’à le dresser comme rite à tous les effets, au beau milieu d’une auto-implication empathique, sympathique et pathétique, le chant – symbolico-rituel sous ce versant – libère et souligne d’une part le sens rythmique du rite et, d’autre part le sens rituel du rythme lorsque l’aspect dogmatique n’a pas encore initié son travail successivement disciplinaire et terminologique. Avec sa stratégie constructrice et harmonisatrice de signifiance interne au geste rituel, le rythme vivant s’installe bien au cœur de l’œuvre du Peule, individuelle et/ou communautaire, de la même manière qu’il s’était installé dans l’œuvre trinitaire de la Création, jusqu’à la mise en évidence de sa centralité dans la composition de la musique rituel en général, ou de la musique tout court. Aux prises avec le contrôle mental et disciplinaire de l’a priori essentialiste, le désir et le besoin de danser qui ne demande qu’à éclater – dans une légèreté corporelle totale et originelle – au moindre instant de joie et sans artifices de contrôle unilatéraux, tient l’homme uni dans ses paroles et dans ses gestes, prenant ainsi ses distances vis-à-vis de la pesanteur du fardeau logocentrique.


Dans une comparaison des cultures et des traditions musicales diverses, la tradition musicale Biblique toute voisine à la vision musicale africaine en générale, et celle luba du Kasayi en particulier engagent l’homme entier, des pieds en cap, dans une prière et dans une expression performative et active de sa foi et de ses croyances. Et, dans une pensée totale, la puissance et l’énergie rythmico-implicative d’une telle praxis musicale où le mouvement et le geste font ce qu’ils signifient font du cogito ergo sum un corrélat procédant de l’intelligence émotive ; rationalité par ailleurs incontournable dans toute expérience vécue par le vivant et où le rythme est qualifiant. Bien avant même que surgisse des lois mentales autonomes de la métrie rythmique, l’Incarnation du Logos indique dans le mouvement intérieur de la prière du Christ mourant sur la Croix avec les paroles du psautier sur la bouche la prévalence de l’a priori pragmatico-corporel au sein de l’impératif rituel de la dernière Cène. Les gestes et les paroles de sa vie impliquent son corps entier, fait de chair de sang et d’eau, dans le chant de louange qu’il élève vers le Père – la musique de Dieu – pour le Salut du monde. Dans cette signification musicale des paroles liées aux gestes sous l’égide du Corps souffrant du Messie s’érige la centralité du pathos, de l’auto-affection, des intentions et des sentiments au sein de ce vrai culte et cette véritable liturgie ; celle qui se célèbre en esprit et en vérité. Dans ce filon pragmatique prend place le sens symbolico-rituel d’une musique où le son primordial émanant de Dieu dans son Verbe Créateur est Source et Principe renvoyant à l’action du Créateur, le quel n’attend du créé qu’Honneur, Louange et Gloire (Ap 19) : intention cultuel du créé où s’érige, de manière originelle, une relation entre Dieu et le monde créé à travers la plus souveraine de ses créatures, à savoir l’Anthropos.


Evangélisé à la centralité du Christ dans une anthropologie de facture théologique ; Chemin de l’Église et voie qui mène à Dieu, l’homme des traditions africaines tel qu’elles rencontrent la légitime sympathie du Concile Vatican II déploie une praxis liturgique où le corps total fait ce qu’il dit et dit ce qu’il fait. Loin du piège mathématique des extrapolations intellectualisantes et purement mentales, l’actio hominis vibre corporellement et se décline au rythme vivant de l’actio Dei laissant à la contemplation une part individuelle d’une oraison mentale dont la facture appartient au prolongement liturgique des effets du dit actio dans la sphère du privé. Même là, la prière comme celle conclusive de l’Adoration Eucharistique veut que « Nous arrivions à sentir les effets de sa Rédemption ». De quel discours sera-t-il ici question si ce n’est d’une spécifique christologie, performative par vocation, où les noms, les paroles et les gestes de sa manifestation expressive restent tout orientés vers l’héroïcité de son action salvatrice. Au rythme de la vie qu’inflige cette action appartiennent les chants, les tambours et les danses qui célèbrent la Vie de Dieu en Jésus Christ ; chose par ailleurs naturelle et normale dans une société qui chante et danse toutes les étapes de la vie, même les plus critiques, avec une attention évidente au rythme de la nature, à celui du monde visible dans son interconnexion avec le monde invisible.


Dans la valeur rituelle du chant qui en découle, l’homme participe – donnant sa part – à l’action de Dieu sur l’autel qu’est le rythme entendu comme sacrifice de la diversité des perceptions, des sensations et des sensibilités individuelles sous l’harmonie commandée par les sentiments qui furent ceux du Christ lorsqu’il va jusqu’au don de soi dans son Sacrifice Suprême. C’est ainsi qu’à la souveraineté de Dieu et à la suprématie vitale et totale de son Christ (où le corps et l’esprit, les sentiments et la raison se rencontrent) ; souveraineté de Dieu dans son Christ, Unique sauveur de l’Humanité, répond l’ homme africain total libère un « esprit d’enfance » donnant liturgiquement lieu à des gestes et des paroles, des chants et des danses dont le rythme oriente et élève vers Dieu au rythme de sa vie. Dans ce rythme s’érige la synthèse de la performance, de l’action et de la participation à la liturgie dans sa théandricité ; Œuvre où Dieu agit et l’homme répond en recevant dans la foi, la gratitude et l’action de grâce l’intervention de Dieu en sa faveur. Créant ainsi une communauté d’action priée et priante au même moment, le rythme comme expérience et rapport vital qualitatif s’instaurant entre le centre d’intérêt qu’est le Christ/Chef avec les actions des participants, fidèles ou présidents/ses membres, rythmo-catéchisent affirmant ainsi leur connaturalité à la liturgie qui est source et sommet de toute l’activité de l’Église. De cette manière, lorsque les yeux et les mains humaines se lèvent au ciel et/ou s’abaisse pour quelque motif, le corps entier chante et/ou danse, rit et/ou pleure invoquant l’action de Dieu dans par le Christ et dans l’unité de l’Esprit Saint. Ainsi advient effectivement la louange, l’invocation ou l’adoration au sein d’un dialogue où après son incarnation, sa mort et sa résurrection le Christ élevé au Ciel et assis à la droite du Père intercède pour tous les hommes. Pour une communauté de destin qui en découle, la communauté réunie au nom du Christ déploie un rythme musical - distinct mais sans etre si distant du rythme musical de la vie ordinaire mais, – où, à la centralité du Christ et de l’action de Dieu dans l’histoire, les chants et les danses s’érigent en langage théologique, communication entre les humains et entre eux et le divin dans une anthropologie théologique perceptive et pragmatico-corporel. Dans ce sens, comme facteur indéniable de participation à l’éminence du rythme vivant dans la Passion du Christ, le rythme musical des chants liturgiques luba du Kasayi – dans un ordre rituel dérivant de la nature liturgique telle qu’elle brille dans l’intelligence du Concile Vatican II . Dérivant du Sacrifice Suprême du Sauveur dans l’empathie des sentiments qui furent les siens, le rythme musical des chants liturgiques du Kasayi ne saurait laisser le corps humain se réduire à un spectateur quasi désintéressé de l’actio liturgique qui, exclusivement contemplatif et exclusivement mentalisé, confie à la ratio la signifiance d’une prex entendu comme monopole des seules paroles sans lien avec l’homme total ainsi qu’avec les défis de son existence mis en orbite par l’impératif du rite de la dernière Cène tel qu’il flue dans le Missel Romain Catholique. La perception d’un tel rythme musical totalement implicatif de l’homme des pieds en cap dans la célébration érige le rythme vivant comme une source d’où l’activité priante de tous les célébrants prend son envol et trouve sa signifiance jusque à se joindre au rythme de toute la vie chrétienne dans son oscillation autour du Christ et en fonction de Lui seul. D’où, la même foi, la même espérance et la même charité à la centralité vital d’un Modèle Unique : Le Christ, Verbe fait chair jusqu’à devenir Pain de la Vie éternelle. Tel est le rythme dont la médiation vitale assure l’immédiateté vivante de la célébration liturgique où le Christ est l’Offrant, la Victime et l’Autel, si l’homme total et concret ne veut pas en rester ni en amont, ni en aval, mais bien plutôt dans son cœur pulsant qu’est le Christ qui y opère, avec sa médiation sacerdotale, tout son salut pour tout homme et pour tout l’homme, des pieds en cap.


Lieu d’intention, des sentiments et du sens d’un monde – le monde de l’Amour de Dieu et de l’Amour du prochain – la stratégie rythmico-vital de ce rite capital, innovateur et exemplaire accomplit l’œuvre de la rédemption qu’il dit dans ce que le Christ y fait impliquant les siens et la multitude. Dans le modèle de cette action salvifique, bien que distincts, le rite et le rythme ne sont pas si distants. Le rythme de l’élan intérieur du Messie pulse dans ce rite et y fait ce que ses paroles et ses gestes, ses sentiments et son intention salvifique, ainsi que son obéissance à la Volonté de Dieu signifient. Sans innocence donc, le rite et son rythme vivant appartiennent à l’organisation d’un monde, des ses idéaux, ses valeurs et ses croyances jusque dans l’alternance et la concaténation des actions propre au processus rituel. Il y a là toute une harmonisation de la vie et de l’histoire du Salut dont le résultat final évoque et instaure une effective symphonie dont Dieu est l’auteur lorsque la précédente cacophonie s’étant installée dans la vie de l’homme et du Cosmos en sort totalement transformée. Et, dans la théologisation Irénienne de cette harmonie là dans ce qui finit par être « la musique de Dieu » ainsi que dans le précis rythme vital et vivant de la Révélation de son Amour (sa Gloire) à travers la Passion, de la Mort et de la Résurrection du Christ, le rythme musical des chants liturgiques chrétiens luba de l’Afrique Kasayienne rencontre celui du chant de louange du Christ au Père. Comme cela advient dans le monde Biblique, avec les tambours, les chants et les danses, les chants et les danses liturgiques du Kasayi disent et articulent toute une louange liée à une nomination particulière. Ils s’harmonisent à la centralité de l’action de Dieu pulsante dans l’événement du Verbe incarné et dans son cœur transpercé d’où fluent l’eau et le sang ; éléments naturels de la Vie de l’Homme-Dieu à l’attention de la sphère du créé mais dans un renvoi effectif et immédiat à ce qu’ils signifient : Ceci est mon corps, ceci est mon sang. Dans un impératif rituel et rythmique indubitable, les sentiments de sollicitude du Père dans son Christ font ce que le rite de la Dernière Cène signifie dans des paroles unies aux gestes de l’Eucharistie dans leur renvoi à Golgotha où se consomme la Performance de l’Agneau de Dieu pour le Salut du monde, des siens et d’une multitude.


Bien plus, de la lex celebrandi qu’il articule et effectue, le rythme vivant assure la médiation avec la lex vivendi par le biais de la lex credendi où le Christ est l’épicentre de la Rédemption et de la re-création de l’homme africain luba du Kasayi et de son monde antique, contemporain et futur. Ce de quoi y déposer toutes les espérances pour une nouvelle évangélisation, pas seulement pour celle de facture liturgico-célébrative mais aussi de trempe vitale et existentielle. A ce rythme de la vie – comme à un objectif par excellence – se sont orientés les communautés chrétiennes et les Evêques du Congo lorsque – dans l’élaboration du Missel Romain pour les diocèses du Zaïre – ils confient d’énormes espoir, non seulement au génie de leurs traditions culturelles ainsi que leurs richesses (AG 22 ; SC 37 – 40), mais aussi et surtout à la centralité du rythme vivant dans l’imaginaire, le collectif, l’anthropologico-culturel, la sensibilité religieuse, la médiation du sacré et la vision globale du monde de cette région du monde. Facteur d’harmonie entre le monde visible et celui invisible, la vie qui flue dans la stratégie proprement rythmique – partageable dès sa racine en tant que mouvement pathétique universellement humain quoi qu’intérieur ; lieu des croyances et de la foi en Dieu– le rythme vivant fait ce qu’il dit, compose l’œuvre liturgico-musicale, la soutenant jusqu’à en concéder la vibration et la totale l’intelligibilité. Le rythme est une synthèse vitale et vécue entre la performance, l’action et la participation et générateur d’une pensée totale de matrice pragmatico-corporel jusque dans sa conception du mystère. Il n’en pouvait en être autrement dans le contexte de cette civilisation où le Verbe est une synthèse vitale complète entre divinité-homme-cosmos.


De ce qui précède, La lorgnette d’observation rythmique d’où ruisselle deux manières de fluer dans un seul et même rite Romain Catholique, à l’intelligence du Concile Vatican II permet un entrenrichissement célébratif réciproque – en vue d’un légitime équilibre englobant le corps et la ratio – entre le Missel Romain de Paul VI et celui Romain pour les diocèses du Zaïre (actuelle République Démocratique du Congo). Jusque dans le dynamisme psychophysique d’un tel rythme se retrouve une effective sortie de la statio vers une auto-implication individuelle et communautaire à la trame de la succession des actions rituelles. Synchroniquement et diachroniquement le rythme vivant de l’œuvre publique du Chef Christ et de ses membres se dit ainsi basilaire et connaturel a toute célébration lorsqu’elle est totale et totalisante de l’Opus Dei et de l’Opus Hominis. De cette manière, la longueur des célébrations – conséquence inévitable des longues processions et des prières chantées et dansées à la Primordialité Principielle et fontale du Logos de la Croix – ne sont qu’une retraduction d’une manière de fluer où le temps, l’espace et la vie toute entière répondent à la louange et à l’adoration du Créateur dans son Verbe Rédempteur.


En conclusion et dans une perspective de la théologie liturgique, c’est le rythme vivant de l’œuvre de la Rédemption, bien observable dans la Vie, la Passion, la Mort et la Résurrection du Christ qui, induisant à l’appel en cause d’une Musique de Dieu, nous porte à observer sa portée naturellement performative, active et participative dans le rythme d’une musique liturgique totalement Christologique et fortement sotériologique. Ainsi pouvons nous enfin poser que : Le rythme musical vivant des chants et des danses des liturgies africaines luba du Kasayi est Liturgie. Bien plus, il se situe au cœur du culte en esprit et en vérité pour le chrétien de cette zone du globe. Au prise avec la danse de la vie où les hauts s’alternent avec les bas et la vie est au prise avec la mort, le rythme musical n’est pas ici un phénomène exclusivement intellectuel, mais bien plutôt une force vitale et psychophysique qui transforme les mouvements corporels en expérience totalisante de l’émotivité et de la rationalité, fournissant par le fait même un contrepoids corporel à la sensibilité spirituelle, dans l’expression de la même Foi, la même Espérance et la même Charité.


Le rythme musical des chants liturgiques luba du Kasayi est une récupération corporellement et intellectuellement assumée de la Souveraineté rythmo-énergétique, créatrice et recréatrice du Verbe de Dieu incarné venu pour que les hommes aient la vie et qu’ils l’aient en abondance. Dans une telle récupération performative et active, la foi au Père Créateur, au Fils Rédempteur et à l’Esprit consolateur s’empare des chants et des danses harmonieusement et rythmiquement vécues comme prière, louange, honneur et gloire qui constituent l’impératif cinquante trois fois répété dans les psaumes : « Louez l’Éternel ! » ; impératif vivant dans l’intention cultuelle et liturgique du Créateur tel qu’il est offert dans le monde de la Bible. Dieu insuffle la vie, donnant une autre espérance de Vie par la mort de son Fils sur la Croix et par sa Résurrection (1 Cor. 15, 20), les chants et les danses de la musique spontanée s’y configurent au surgissement de l’Esprit dans le rappel des promesses au sein d’une célébration, lieu de quête, d’enquête et de requête de sens dans la symphonie rythmique ; œuvre de Dieu dans toute l’Histoire du Salut, vers sa vision « face-à-face ». Dans cette vocation commune à toutes les cultures, langues, peuples et nations et spécialement dans la culture africaine, le rythme vivant met tout l’homme et tout un continent débout. Il imprime et effectue sa marche dans la louange l’adoration de son Créateur, Rédempteur et Consolateur.

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