On le sait depuis l’article de Benveniste : skhêma n’est pas synonyme de rhuthmos, le schéma est un faux-ami du rythme. Il partage avec lui un contexte sémantique proche, celui de la forme, voire de la figure, mais avec une nuance de sens qui est bien plus qu’une nuance : le skhêma est la forme fixe, le rhuthmos la forme mobile. Ou plus précisément :
Quand les auteurs grecs rendent rhuthmos par skhêma, quand nous-même le traduisons par « forme », ce n’est dans les deux cas qu’une approximation. Entre skhêma et rhuthmos, il y a une différence : skhêma par rapport à ekhô, « je (me) tiens » (cf. pour la relation lat. habitus : habeo) se définit comme une « forme » fixe, réalisée, posée en quelque sorte comme un objet. Au contraire rhuthmos, d’après les contextes où il est donné, désigne la forme dans l’instant qu’elle est assumée par ce qui est mouvant, mobile, fluide, la forme de ce qui n’a pas consistance organique : il convient au pattern d’un élément fluide, à une lettre arbitrairement modelée, à un péplos qu’on arrange à son gré, à la disposition particulière du caractère ou de l’humeur. C’est la forme improvisée, momentanée, modifiable. [1]
Ainsi donc, le rythme, entre forme et flux, c’est une forme toujours en formation, c’est la forme qui prend forme en même temps qu’on la nomme. Le rythme, c’est la forme spatiale en tant qu’elle est trans-formée par et dans le temps. On retrouverait d’ailleurs la même nuance entre « forme » et « formation », en allemand, entre Gestalt et Gestaltung.
À s’en tenir à ces premières définitions, il paraît donc impossible de relever le défi d’une représentation spatiale du rythme. À strictement parler, aucun schéma ne saurait jamais rendre compte de la fluidité, de la complexité des phénomènes rythmiques... mis à part, bien entendu, certaines œuvres d’art, et au premier chef certaines toiles de Paul Klee — mais qui précisément ne sont pas des « schémas » [2]. Or, c’est là qu’il s’agit de ne pas confondre le mot et la chose, comme la théorie et la pratique : ce que nous cherchons à visualiser ici, ce n’est pas un impossible schéma du rythme lui-même (qui n’existe que dans son dynamisme propre, qui ne vit qu’en renaissant sans cesse), c’est un schéma d’une possible pensée des différents rythmes. D’ailleurs, quitte à prendre le risque de la caricature, une pensée qui ne peut pas se schématiser, littéralement, est une pensée obscure, à la fois peu claire et peu transmissible. Voilà donc le défi à relever ici : non celui d’une image du rythme, mais celui d’un schéma de son concept. Ce que, logiquement, il faudra faire en (relativement) peu de mots [3].
Schéma n° 1 : Comment schématiser une première vision des rythmes ?
Topologie, qui est aussi doxologie : la priorité est de présenter une vue synoptique des positions ou des opinions en présence, avant d’en faire une typologie critique. Il faut donc commencer par prendre ici le mot « rythme » au sens le plus large possible, englobant a priori l’ensemble de ses significations existantes (d’où l’usage provisoire des guillemets). Un premier schéma possible a ainsi une longue histoire derrière lui. La classification par Boèce, au VIe siècle de notre ère, des théories musicales de l’Antiquité, fait autorité du Moyen-Age jusqu’au XVIIIe siècle : musica mundana (harmonie du monde, harmonie des sphères), musica humana (harmonie de l’être humain entre les fonctions physiologiques, les facultés intellectuelles, et les passions), musica instrumentalis (musique comme réalité sonore, produite par des instruments ou par la voix humaine). Sur le même modèle, on peut donc penser les rythmes du monde, les rythmes de l’homme, et les rythmes de la musique. D’ailleurs, Paul Klee propose lui aussi une « différenciation fondamentale : “rythmes cosmiques” (par exemple, les saisons, le jour et la nuit), “rythmes organiques” et rythmes culturels » [4]. Par commodité, on pourra distinguer : « rythmes C comme cosmologiques » (processus périodiques cosmiques), « rythmes B comme biologiques » (processus périodiques innés de tout être vivant), « rythmes A comme anthropologiques » (processus périodiques et rythmiques acquis de l’être humain). Dans cette dernière catégorie, « anthropologique » ne recouvre pas tout ce qui touche à l’humain (auquel cas il faudrait y inclure le biologique), mais ce qui fait la spécificité de l’humain en tant que tel ; c’est-à-dire ici l’ensemble des « rythmes » historiques, techniques, esthétiques, etc.
Ces trois classes (A, B, C) peuvent alors être représentées schématiquement sous deux formes différentes, suivant qu’on cherche à démontrer que tous les rythmes sont imbriqués dans une seule et même rythmologie, ou qu’on tente de montrer leurs différences et éventuellement leurs correspondances. Le rythmologue « panrythmiste » — celui pour qui tout est rythme, et le rythme est tout — tracera ainsi des cercles concentriques et clos, le plus grand cercle des rythmes cosmologiques incluant le plus petit des rythmes anthropologiques : les rapports englobants entre les trois cercles seront alors des rapports de continuité. Le chercheur méthodologiquement prudent tracera quant à lui une série de lignes divisibles à l’infini, formant un arbre possible des différents sens de « rythme » : les rapports entre les trois lignes et leurs subdivisions seront alors des rapports de contiguïté.
Schéma n° 2 : Comment schématiser une autre vision des rythmes ?
Passant du cercle à l’arbre, on passe en même temps de la synthèse apparemment évidente à l’analyse réellement questionnante. Autrement dit, on passe de l’affirmation d’un système métaphysique aux questions posées par une division logique. Ici surgissent naturellement des interrogations que nous retrouvons dans toutes les études rythmologiques, et que nous retrouverons également plus loin dans d’autres schémas : ainsi en va-t-il déjà des modes de relations entre les différentes unités rythmiques, par exemple de l’influence supposée des unes sur les autres… Ce faisant, il reste toujours à se demander s’il s’agit bien partout du même sens du mot « rythme » (d’où l’usage persistant des guillemets).
On pourrait d’ailleurs imaginer encore un autre mode de classification, non plus par domaines d’application, mais par communauté de périodes : lentes, de l’ordre du mois ou de l’année (révolution des astres, « rythme » des saisons, mais aussi « rythmes » historiques, sociologiques, économiques...) ; moyennes, de l’ordre de la journée ou de ses divisions (« rythme » nycthéméral, des marées, mais aussi « rythmes » de travail...) ; rapides, de l’ordre de la minute ou de la seconde (« rythmes » cardiaque, respiratoire, mais aussi « rythmes » musicaux...). On verrait du même coup et une fois de plus que, sous le nom de rythme, se trouvent ainsi réunis un grand nombre de phénomènes dont on peut légitimement se demander s’ils appartiennent vraiment au même type de réalité et, dans ces conditions, pourquoi ils se laisseraient subsumer sous le même concept. Le panrythmisme, quant à lui, n’a aucun scrupule à faire varier les rythmes de l’infiniment grand (temporel) à l’infiniment petit. L’avantage d’une classification par périodes est alors d’éveiller une critique possible dans le jugement du rythmologue ; outre la question des points communs à l’intérieur d’une même période, la dimension propre aux périodes lentes, par exemple, devrait faire se demander jusqu’où de tels « rythmes » sont perceptibles par l’homme, et par conséquent jusqu’où ils méritent toujours ce nom.
Schéma n° 3 : Comment schématiser les relations entre les rythmes ?
Une typologie critique ne se contentera pas de classer les rythmes de façon séparée, mais tentera également de les classer selon les relations qu’ils peuvent entretenir entre eux (d’où ici les entrées numériques). Dans cette nouvelle typologie au second degré, qui inclut la précédente comme sa condition, les relations interrythmiques pourront être ramenées aux quatre types suivants, par ordre décroissant du plus au moins fort degré de réalité : premièrement, relation d’origine causale (de cause à effet : un rythme est à l’origine d’un autre rythme), et d’origine historique (selon l’anthropologie et la paléontologie) ; deuxièmement, relation d’influence (action à distance), réciproque ou non, sans position explicite d’origine ; troisièmement, relation d’analogie (rapport de rapports) ; quatrièmement, relation par position d’un schème entre concret et abstrait. Pour le panrythmisme, ces quatre modes de pensée ne seraient d’ailleurs nullement exclusifs les uns des autres.
Penser l’origine du rythme, ou le rythme comme origine, causale ou historique, c’est toujours se situer dans une recherche infinie, où quelques points d’appui, telle l’idée de communauté, ne suffisent guère à faire oublier le vertige du chercheur. Mais ce qui ressort surtout de cette première typologie, c’est que le rythme, ce n’est pas seulement le rythme de nos pas, le rythme de notre cœur ou le rythme de notre respiration, ce n’est pas seulement le rythme du geste, de la parole ou de la communauté, c’est toujours et encore une nature médiatisée, transcendée par une culture. S’il est difficile en effet de nier l’importance des rythmes biologiques subis, c’est pourtant bien par une action proprement humaine, symbolique, que la marche devient démarche, voire danse, le battement du cœur tempo musical, et le rythme respiratoire « souffle » du poème ou du chant. Le rythme, au-delà de l’origine, devient alors une question fondamentale de médiation entre le naturel et le culturel en nous.
L’influence, réciproque ou non, entre divers phénomènes rythmiques, constitue ici le deuxième mode de relation d’une pensée traditionnelle des rythmes. La caractéristique principale de l’influence par rapport au premier mode de relation est précisément qu’elle ne présente pas toujours de position d’origine aisément repérable, préférant lui substituer une fonction, effective ou non, d’action à distance. Une pensée du rythme comme influence s’attache plus à l’action d’un rythme sur un autre qu’à l’origine de cette action. Paradoxalement, rien n’indique que cette action à distance soit réelle ; bien souvent, elle n’est qu’imaginaire, induite par le théoricien ou le praticien, plus que déduite de la réalité. On retrouverait donc ici le problème de la légitimité d’une réflexion en termes d’influence comme d’origine.
Quant à l’analogie, il y en a mille possibles (chez Augustin, dans le romantisme allemand, etc.) ; mais en matière de réflexion sur les rythmes, mieux vaut développer une forme d’analogie critique. Ce type d’analogie ne correspond guère, il est vrai, à l’étymologie de son préfixe : ana- signifie « en haut », « vers le haut », et confère à l’analogie l’idée d’un passage ou d’un dépassement, par exemple vers un ordre supérieur, ainsi de l’humain au cosmique ou au divin. Pour penser le rythme aujourd’hui, entre panrythmisme trop large et linguistique trop étroite, il faut sans doute conserver le principe de l’analogie, mais en mettant « hors-circuit », au moins méthodologiquement, toute perspective métaphysique — à moins d’inclure cette perspective dans un besoin anthropologique lui-même...
Après les modes de l’origine, de l’influence et de l’analogie, le schème — à ne pas confondre ici avec le seul schéma — peut apparaître enfin comme, d’une certaine manière, le plus bas degré du mode de relation. Il s’agit en effet, non plus avec la prétention d’une fidélité au réel, mais avec le souci d’une présence à l’imagination, de se donner les moyens d’une simple représentation d’un rythme à travers un autre rythme (la mer, le souffle, etc.). Comme en son sens kantien, le schème ne pose donc rien de plus qu’un rapport imaginaire entre deux rythmes : il ne pose ni une source comme l’origine, ni une action comme l’influence, ni une transcendance comme l’analogie. Là où l’analogon donnait à penser, le schème ne fait que suppléer à un défaut de pensée : sa seule fonction est de présentification. Il n’est donc pas seulement le plus bas degré du mode de relation, il est peut-être aussi le plus haut degré possible.
Schéma n° 4 : Comment schématiser un concept possible de rythme ?
Le pari de ce dernier schéma est de représenter visuellement la définition déjà proposée du concept de rythme à partir de trois champs sémantiques à la fois séparés et combinés. Au sens large, tout emploi du mot rythme peut en effet se rattacher à l’un des trois concepts suivants : structure, périodicité, mouvement. Au sens strict, et par souci de clarté, mieux vaut d’ailleurs réserver l’usage du mot rythme à une combinaison d’au moins deux des trois critères, si ce n’est trois de préférence. « Rythme » = tout phénomène perçu, subi ou agi, auquel un sujet peut attribuer au moins deux des critères suivants : structure, périodicité, mouvement.
Ainsi par exemple, qu’y a-t-il au juste de commun entre les trois expressions suivantes : un « rythme ternaire », un « rythme biologique », et un « rythme syncopé » ? Dans ces expressions très simples coexistent déjà trois sens radicalement différents du mot rythme. La première expression n’a de sens qu’en termes de structure et de discontinuité : le rythme ternaire est plus précisément un mètre, qui présente une structure discontinue dans lequel le poétique ou le musical pourra venir s’incarner. Rythme iambique et rythme de valse sont tous deux des rythmes ternaires, c’est-à-dire en somme des structures. La seconde expression n’a de sens qu’en termes de périodicité et de régularité : un rythme biologique est plus précisément un cycle, une période, qui fait régulièrement retour sur elle-même à partir d’un repère sélectionné. En d’autres termes encore, « rythme ternaire » désigne a priori une pure structure formelle, à laquelle seule une périodicité potentielle conférerait a posteriori une temporalité ; « rythme biologique » désigne au contraire a priori un simple cycle de battements, se répétant à intervalles réguliers, auquel seule une structure pensée a posteriori conférerait une intelligibilité [5]. La troisième expression, enfin, est sans doute la plus importante en matière de rythmologie, au sens où elle est aussi la plus difficile à définir. Parler de « rythme syncopé », en effet, n’a de sens qu’en termes de « mouvement » (faute d’un meilleur terme) : le rythme syncopé introduit une autre dimension nécessaire au rythme en tant que tel, celle de la différence dans la répétition, de l’autre dans le même, voire de l’arythmique dans le rythmique — ce qui resterait bien entendu à expliciter... Impossible d’ailleurs de commenter ici tous les paramètres du schéma, notamment les analogies toujours problématiques entre les dimensions sonores et visuelles des rythmes [6].
En tout et pour tout, la combinatoire compte donc sept termes (plus les caractéristiques internes à chacun des critères) : S seule, P seule, M seul (qui ne sont pas à proprement parler des rythmes), SP sans M, MS sans P, PM sans S, et SPM. Un rythme au sens fort est alors un phénomène qui, dépassant ses conditions minimales d’apparition, réussit à combiner, à des degrés divers, et dans quelque ordre que ce soit, tous les critères structure-périodicité-mouvement, selon les trois dimensions schématique, périodique, métabolique. Si l’on voulait jouer avec les termes de la triade, suivant qu’on choisit de privilégier tel ou tel aspect du rythme, et en employant délibérément des termes à chaque fois différents — car la chose est plus importante que le mot —, on pourrait encore ramener la définition restreinte à ces quelques formules : structure périodique en mouvement, retour d’une forme en devenir, dynamique d’un cycle ordonné...
Telle qu’elle se donne, cette définition semble purement formelle. Elle implique néanmoins, par la présence du couple perceptif subi/agi qui détermine elle-même la présence d’un sujet par rapport à un phénomène, la nécessité théorique d’une sensibilité esthétique. Le rythme n’est tel que s’il donne lieu à un débordement de sa seule valeur formelle par un sujet rythmé ou rythmant, dans sa matérialité et sa corporéité propres. La schématisation implique donc que le rythme soit un phénomène non quelconque dans lequel se joue un rapport d’interaction singulier entre le sujet et l’objet, et dans lequel le concept est toujours débordé par le réel. Il n’y a pas de philosophie du rythme possible sans une phénoménologie de ce qui, dans le rythme, échappe à la raison, voire d’un sujet qui, par le rythme, s’échapperait à lui-même. Dans une phénoménologie du rythme, les trois concepts de la définition deviennent alors des verbes d’action : le rythme structure et/ou périodise et/ou mouvemente l’espace-temps — ou plus exactement : l’espace-temps n’existe pour un sujet que s’il est structuré et/ou périodisé et/ou mouvementé par un rythme, en un ici et un maintenant. La définition proposée doit donc se lire sur deux versants, phénoménologique et terminologique : sur son premier versant (« tout phénomène, perçu ou agi, auquel un sujet peut attribuer... »), elle renvoie à un sujet (et donc à une irrationalisation possible du rythme, par commotion du sujet) ; sur son deuxième versant (« ...au moins deux des critères suivants : structure, périodicité, mouvement »), elle renvoie à un objet (et donc à une rationalisation possible du rythme, par construction de l’objet).
Insistons : pour penser le rythme, il s’agit donc de créer un système ouvert de concepts — c’est-à-dire lorsque les concepts déterminent non une essence à proprement parler, mais une circonstance, une « naissance ». Il ne s’agit pas de dire : « le rythme, c’est SPM », mais : « quelque chose devient du rythme lorsque SPM sont combinés en un phénomène ». Une nécessaire analyse conceptuelle du rythme en trois moments séparés ne doit donc pas faire oublier, dans son formalisme même, la présence pour un sujet du rythme comme tel, c’est-à-dire comme tout. Le rythme se présente d’abord à notre perception comme un tout qualitatif continu, un « flux », dont la décomposition quantitative intervient toujours après-coup. L’un des paradoxes, et non le moindre, avec lequel composer, est en effet de diviser l’indivisible ; mais l’indivisible, on le sait, est de l’ordre du sentir, le divisible, de l’ordre du comprendre. Encore faut-il maintenant rassembler le divisible, pour com-prendre effectivement. Un rythme qui se tient, un rythme qui « tient » le sujet percevant (ekhein), c’est un système dynamique de tensions. Tous les phénomènes rythmiques — comme le rythme grec — se jouent à la fois et indissociablement entre forme et flux, et génèrent un troisième terme qui les dépasse tous deux. Tout rythme, pour être tel, et quelle que soit la discontinuité possible de sa structure, doit donner l’impression d’une fluidité spontanée. Mais la forme ne préexiste pas nécessairement au flux : la forme se crée aussi dans le flux, comme le tourbillon se crée dans le cours. Telle est bien en dernier ressort la dialectique de la formalisation du rythme et de la rythmisation de la forme : la seconde vient en réalité avant la première, et la première ne rend jamais intégralement raison de la seconde.
Une présentation théorique ne peut donc être qu’analytique et successive, comme dans l’énumération discursive qui précède. Dans le rythme réel comme synthèse réelle, il va de soi que toutes les « branches » du même « arbre » rythmique (SPM) coexistent en même temps, à des degrés divers, et pas toujours à la place que leur assigne le discours conceptuel. C’est pourquoi l’esquisse d’une visualisation n’est peut-être pas vaine, non par une forme arborescente, mais par intersection d’ensembles de formes différentes, en y insérant enfin une sorte de « case vide ». Ce n’est pas là pure coquetterie, ni simple artifice d’écriture : sans le blanc, la figure n’est pas complète ; car le blanc est là pour signifier que, dans le rythme, quelque chose échappe toujours à la raison — et c’est même la raison pour laquelle le rythme n’est pas exactement un concept… Dans le schéma, il y a ce qui, dans le rythme, se laisse « arraisonner » (les trois critères), et ce qui échappe à la raison (la case vide). Le rythme est à la fois compréhensible par la triade conceptuelle et rigoureusement irréductible à elle. Le rythme donne donc à penser non seulement un système au minimum ternaire — contre la pulsation unitaire : périodicité sans structure ni mouvement, contre la cadence binaire : structure et périodicité sans mouvement —, mais encore un système qui, en fonction des variations de son troisième terme, s’échappe nécessairement à (de) lui-même. Au sens technique du terme, le rythme se ménage toujours un système d’échappement. Le schéma, c’est la forme fixe du rythme. Et le reste, c’est le rhuthmos du rythme lui-même.