La question posée ici concerne l’influence des espaces d’écoute, de diffusion et d’interprétation, de composition, notamment en milieu extérieur, dans l’espace public, qui viendrait sans doute interroger la perception du lisse et du strié, selon l’approche boulézienne.
La situation du hors-les-murs n’est certes pas nouvelle. Des ménestrels errants et autres bateleurs, sur les foires et les marchés, les théâtres de tréteaux, jusqu’aux musiques de cour qui, outre la musica da camera, da chiesa, était aussi celle de la Grande Écurie du Roy pour les festivités de plein air, parades, sans compter les compositions pour les féeries aquatiques et de feux d’artifices (Haendel), les musiques dites de rue… les propositions musicales battent le pavé depuis bien longtemps.
Les avant-gardistes italiens et russes – Luigi Russolo qui pensait une musique de bruit urbaine et machiniste et Arseny Avraamov qui dirigeait un orchestre de sirènes et canons à Baku – poursuivent la quête de nouveaux espaces dés l’entame du XXe siècle. Murray Schafer et le paysage sonore, Max Neuhaus entre installations et performances de soundwalks (Listens), Boulez dirigeant Répons dans une clairière en plein-air, Cage et ses 4’33 qui demandent idéalement à laisser les portes ouvertes, Michel Risse et les arts de la rue… la production musicale s’échappe ainsi par toutes les portes, pour peu qu’on les laisse un tant soit peu ouvertes.
Il semble d’ailleurs que Luc Ferrari, dans ses « paysages électroacoustiques » ait bien compris la fragilité des frontières d’une narration qui, tout en paraissant figurative, dérive vers des incongruités aussi surprenantes que maitrisées.
Ces musiques se frottent à des environnements divers, urbains ou non, se mêlent aux« bruits » voire vont où le compositeur les incorporent comme objets musicaux, entraînant l’auditeur vers de nouveaux territoires sonores.
Entre l’écriture, plus ou moins stricte, et les aléas sonores ambiants, le lisse et le strié se retrouvent alors dans des zones « flottantes, aux frontières incertaines. La rumeur de la ville prise comme une sorte de continuum fluant, background plutôt lisse, que le compositeur Pierre Mariétan nommera la rumeurescence, est ponctuée d’émergences telles les alarmes, klaxons, chocs de travaux… Le lisse et le strié semblent faire contrepoint dans des milieux acoustiques par essence complexes.
On peut ici se poser la question de la pertinence du lisse et du strié façon Boulez, alors que l’écoutant flotte parfois entre des compositions plus ou moins écrites et des environnement toujours en mouvement, capricieux, qui brouillent sans cesse les frontières. Des rythmicités instables, et des accidents que Cage affectionnait comme faisant aussi partie intégrante d’une partition où l’improviste tient un rôle non négligeable, fragilisent les bases d’une écriture musicale devenant ainsi plus déconcertante.
La question du cadre et du lieu d’écoute, des perturbations triviales d’un environnement pas forcément maîtrisé, mais aussi des jeux d’écriture et modes d’interprétation liés à ces conditions extérieures, peut être ici posée comme terrain d’incertitude entre lisse et strié, voire un assouplissement de cette approche dichotomique, si ce n’est un effacement plus ou moins important de ces notions. La question reste posée.