Retraites : « Le projet d’Emmanuel Macron ignore l’accélération et l’intensification des rythmes de vie »

Pour des carrières respirantes (et inspirantes)

Article publié le 20 janvier 2023
Pour citer cet article : , « Retraites : « Le projet d’Emmanuel Macron ignore l’accélération et l’intensification des rythmes de vie » , Pour des carrières respirantes (et inspirantes) », Rhuthmos, 20 janvier 2023 [en ligne]. https://www.rhuthmos.eu/spip.php?article2934

Une autre version de ce texte a paru dans Le Monde le 18 mars 2022. Nous remercions Jean-Yves Boulin et Le Monde de nous avoir autorisés à le republier ici.


L’annonce par le Président-candidat d’un recul de l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans à l’horizon 2030 atteste d’un double déni de la réalité. En effet, les études conditions de travail de la DARES indiquent qu’un tiers des 35-55 ans estiment ne pas pouvoir exercer la même activité jusqu’à l’âge de 60 ans. A l’échelle européenne, selon la 6e enquête conditions de travail de Eurofound, on observe que si 75% des employés de bureau et des cadres estiment qu’ils pourront exercer la même activité jusqu’à l’âge de 60 ans, la proportion tombe à moins de 60% pour les catégories ouvrières et les employés faiblement qualifiés, notamment dans les services. De ce point de vue la France se trouve en queue de peloton avec la Pologne, la Slovénie ou la Turquie. Si l’on interroge les 56 ans ou plus, la proportion de ceux qui estiment pouvoir travailler cinq années de plus tombe à moins de 50% pour la France (un des pourcentages les plus faibles de l’UE), contre plus de 80% dans des pays comme la Suède ou les Pays-Bas. Pour la France, il est difficile de faire le partage entre la perception par les salariés de la soutenabilité de leurs conditions de travail au-delà d’un certain âge et celle qu’ils ont de leur employabilité du fait des pratiques des employeurs consistant à licencier les seniors, dont le résultat est un taux d’emploi des 55-64 ans (53,9 %), parmi les plus faibles au sein de la zone euro qui affiche une moyenne de 60,2%.


Ces données indiquent que si l’on souhaite voir les salariés prolonger leur activité au-delà de 62 ans, cela implique tout d’abord de mettre en place une véritable politique d’amélioration des conditions de travail. Mais cela implique également la mise en œuvre de dispositifs permettant aux salariés de se former à de nouvelles activités, plus soutenables en termes de conditions de travail et leur permettant de s’adapter au changement technologique. Il s’agit alors de formations longues impliquant une cessation temporaire du travail.


L’autre réalité ignorée par le projet d’un recul de l’âge de départ en retraite est celle mise en évidence par de nombreux travaux de sociologues de l’accélération de nos rythmes de vie et de leur intensification. Cela affecte le bien-être et la qualité de vie des salariés tout comme la qualité de leur travail. C’est particulièrement vrai pour les 30-55 ans, qui souhaitent à côté de leur travail, être impliqués dans la vie citoyenne, sociale, associative et de loisir. Si les données globales montrent qu’une majorité des répondants à l’enquête Européenne sur les conditions de travail estime que leur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle est satisfaisant, elle fait également ressortir que cette satisfaction est variable au cours de la vie : les pères et les mères de jeunes enfants d’âge pré-scolaire ont respectivement une probabilité augmentée de 25% et de 100% de déclarer que cet équilibre ne convient pas. Ces constats ont mis sur l’agenda social l’articulation entre vie professionnelle et vie personnelle et incitent à envisager une régulation du temps de travail sur l’ensemble du cours de la vie.


Au plan pratique, une telle approche réfère à ce que l’économiste Suédois Gösta Rehn nommait la « société du libre choix » qui était un plaidoyer pour une flexibilité individuelle sur l’ensemble de la vie afin d’affecter les volumes de temps de façon discrétionnaire entre travail rémunéré, travail non rémunéré, formation et loisirs. La traduction concrète en a été l’introduction du congé parental en Suède en 1974 ou le droit à congés longs, parental, de formation ou sabbatique qui a existé au Danemark durant les années 1990 lorsque le chômage était à son plus haut niveau. Plus près de nous, un accord a été conclu en 2018 dans la métallurgie allemande qui permet à tout salarié de baisser sa durée du travail à 28h par semaine durant deux années soit pour s’occuper de ses enfants ou d’un proche, soit pour se livrer à d’autres activités qui peuvent être tout aussi bien de formation, de loisir, d’engagement civique.


Une étude réalisée à la demande du Ministère du travail allemand a estimé à neuf années le temps dont un travailleur aurait besoin pour, compte tenu des mutations technologiques, se former, pour s’occuper de ses enfants, de ses ascendants ou pour lui permettre un engagement civique. Cette notion de carrière « respirante » qui est au fondement d’une articulation entre les activités de soin, de travail, de formation est aussi sous-jacente au dispositif de Compte Epargne Temps Universel (CETU) promu par la CFDT. L’instauration en France d’un Compte Personnel d’Activité (CPA) en 2014 s’inscrivait potentiellement dans cette perspective en prévoyant la fongibilité des droits en temps acquis par les travailleurs (compte pénibilité, compte formation, compte épargne temps). Cette « utopie concrète » apte à conférer une plus grande autonomie aux individus dans l’organisation de leurs parcours de vie a malheureusement été remisée au rang des utopies non réalisées à travers la loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » qui lui a substitué le compte personnel de formation.


S’agissant de l’épineuse question du report de l’âge de départ à la retraite, il nous semble que permettre aux salariés de travailler plus longtemps en âge, si ils le souhaitent, ne devrait pas se traduire mécaniquement par travailler plus d’années.

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